Photo-graphies et un peu plus…

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Ça y est, j’ai fait mon premier rêve de confinement. Enfin, c’est ainsi que je l’ai interprété. Je ne l’ai pas noté en me réveillant et maintenant que je cherche à m’en souvenir, les détails m’échappent comme du sable sec et chaud glissant entre mes doigts. Pas de problème respiratoire ni d’invasion d’arachnides mais je me souviens parfaitement qu’après avoir rencontré une ancienne camarade de fac – que je n’ai pas vue depuis des années mais avec qui j’ai échangé des mails sur mon voyage en Nouvelle Zélande avant de partir –, je ne retrouvais plus ma voiture – dans la réalité, je n’en ai pas. J’avais beau faire et refaire le tour du quartier où nous étions, aucun indice quant à l’endroit où je l’avais garée ne me revenait à l’esprit. A fortiori, je ne pouvais pas quitter la ville, j’étais coincée, ou retenue, dans son dédale de rues. Un rêve d’empêchement en quelque sorte. J’ai connu des songes plus mystérieux, mais celui-ci a eu le mérite de me faire sourire. Et d’être juste. En effet, cette interdiction de se déplacer librement, au-delà du kilomètre pour encore 11 jours puis, à partir du 11 ou 12 mai, au-delà de 100, est sans doute ce qui, symboliquement, intimement et toutes proportions gardées, préoccupe le plus la fourmigratrice que je suis. Et ce, même si je n’avais pas prévu de repartir à l’autre bout du monde le mois prochain ni même ailleurs – sauf, bien sûr, pour aller voir mes parents chéris et peut-être commencer à explorer des territoires d’accueil. C’est purement psychologique et cela ressemble à s’y méprendre à ce que j’évoquais au 8ejour de mon confinement à Wellington où j’avais eu une très temporaire montée de claustrophobie, alors même que j’étais plus libre de mes mouvements qu’ici finalement. Preuve que, malgré tout, c’est pas si pire, comme disent nos amis québécois. Par ailleurs, les moyens – naturels – de s’affranchir des limites et frontières de son propre corps sont nombreux.

Revenons, pour l’instant, aux rêves que nous connaissons sans doute mieux que les autres états modifiés de conscience. Il paraît que le confinement – engendrant naturellement son lot d’anxiété, de stress, de sentiment d’isolement, de perte de contrôle, de questionnements sur le devenir de notre société et sur soi, passé, présent et futur inclus – est allé s’implanter jusque dans nos rêves. Que les témoignages de rêves ou cauchemars plus étranges, plus intenses, plus nombreux que d’habitude se multiplient ces dernières semaines alors même que nos journées sont moins denses, en tout cas géographiquement et dans nos interactions physiques, matérielles, avec les autres. Quoi de plus logique si l’on admet que les rêves nous aident à traiter ce que nous vivons pendant la journée, en particulier à gérer le stress et les émotions qu’elle peut avoir produits, en plus d’inscrire certains faits dans notre mémoire à long terme. « Nos rêves étranges sont le sommet de l’iceberg psychologique. Qu’on le veuille ou non, nous prenons aujourd’hui part à une gigantesque expérience sur les effets d’un accroissement du stress associé à une réduction drastique des contacts sociaux » annonce ainsi Mary-Ellen Lynall, neuroscientifique et psychiatre de l’université de Cambridge, spécialisée dans les interactions entre le système immunitaire, le cerveau et le comportement (1).

Ceci dit, comme souvent, les scientifiques ne sont pas unanimes sur la fonction des rêves. Ainsi en est-il de l’ethnopsychiatre Toby Nathan qui pense, quant à lui, que le rêve joue un rôle essentiel de « brainstorming installé au cœur de la nuit, qui nous permet de trouver des solutions inattendues, d’inventer, de nous renouveler » (2). Et de poursuivre : « Des expériences ont montré que le rêve ne sert ni à fixer la mémoire, comme on l’a longtemps cru, ni à évacuer les tensions de la journée » mais qu’il « contribuait puissamment à la résolution de problèmes ou d’énigmes posés au rêveur avant son sommeil » (2). Là où certains voient le rêve tourné vers le passé, lui le projette dans l’avenir. En lisant cette définition, je repense à toutes les impasses mathématiques et physiques sur lesquelles je m’endormais, étudiante, qui, comme par miracle, n’en étaient plus au réveil…

Dans un registre plus calendaire, aujourd’hui, c’est le Premier Mai. La Fête du Travail. La Journée internationale des travailleurs. Un rendez-vous citoyen, syndical, collectif et surtout physique que le confinement actuel contraint à une certaine virtualité, alors même que les protestations populaires n’ont jamais été aussi nombreuses – et réprimées – dans le monde avant le début de cette année en 20. Dans mon périmètre de sécurité, à l’occasion de ma séance quotidienne d’activité physique (youhou !), j’ai pu observer la multiplication de banderoles chargées de revendications – des plus locales : « Stop au béton ! Vive les arbres ! », aux plus générales : « De l’argent pour notre hôpital, pas pour le capital », « Merci ! » – accrochées aux balcons ou fenêtres. A chaque fois que je vois les gens s’exprimer par cette voie là, à la fois permanente et non incarnée, je repense aux rues de Berkeley, en Californie, que j’ai côtoyées plusieurs semaines il y a une dizaine d’années.

La ville est connue pour sa prestigieuse université, la deuxième plus ancienne du pays après Harvard, dont le campus à lui seul donne envie d’être étudiant à vie. Génies et autres esprits libres y convergent depuis des décennies – 65 prix Nobel dans ses rangs, des Pulitzer, des Oscars… –, avant de faire rayonner leurs idées dans le reste du monde. Haut lieu historique de la contre-culture américaine, pacifiste – les premières manifestations contre la guerre du Vietnam sont nées dans ses artères –, Berkeley a vu s’épanouir, dans les révolutionnaires années 60, le Free Speech Movement, prônant notamment la liberté d’expression politique des étudiants, et, dans la foulée, a vu fleurir les hippies par milliers.

Auréolée de cette tradition libertaire et de cet esprit contestataire incarnés par la chair en mouvement, même un demi-siècle plus tard, je m’imaginais donc la ville grouillante, palpitante, active sur tous les fronts, revendicative, engagée. J’avoue avoir donc été assez surprise, en errant plusieurs jours d’affilée dans les rues adjacentes au campus, certes assez cossues, de ne croiser quasiment personne. Physiquement j’entends. Point de regroupement ni de manifestation non plus. En revanche, assez rapidement, j’avais relevé la présence de pancartes plantées dans des jardins, d’affiches glissées derrière des stores, de calendriers politiquement étiquetés placardés aux vitres, de dessins fixés aux fenêtres, de banderoles accrochées aux perrons et façades des maisons. Autant d’appels à la paix, au dépôt des armes, au vote Obama, à la tolérance… Absents des rues, les habitants de Berkeley annonçaient malgré tout la couleur. Défiler dans ses paisibles avenues devenait un festival de revendications silencieuses en tous genres.

Le contraste avec la façon dont chacun exprimait ses idées et ses convictions en France m’avait alors sauté aux yeux, et illustrait parfaitement la différence de conception entre ce qui relève des sphères publique et privée de part et d’autre de l’océan, voire d’un monde à l’autre. Car avez-vous souvent vu ce type d’expressions aux fenêtres de vos voisins ? Connaissez-vous leurs idées politiques, leurs combats, leurs engagements ? Là où, là-bas, et sans vouloir faire de généralités, on semble préférer s’exprimer individuellement, solitairement, sans se montrer, ici, on se présente collectivement, solidairement, à visage découvert pour s’exprimer avant de tout ranger et de regagner nos antres, d’où, a priori, rien ne s’échappait… Jusqu’à il y a quelques semaines, mois ou poignées d’années (j’ai en mémoire une innocente balade dans le 16e– vous me direz que je l’ai cherché – et à Montmartre aussi, avec une foule de drapeaux à la « famille parfaite » flottant au vent qui m’avait particulièrement refroidie).

Ainsi, le confinement (en plus de poser une foule de questions sur la définition même du travail, sur les façons alternatives de travailler et même sur les alternatives au travail tel que nous le concevons classiquement, avec tout d’un coup l’émergence de travailleurs dits essentiels, de première ligne – des femmes en majorité – sur qui tout repose depuis des semaines alors même qu’ils sont systématiquement dévalorisés et dénigrés en temps « normal », avec l’essor du télétravail pour certains mais aussi de questionnements quant à notre utilité sociale lorsque, finalement, nous réalisons que ce qui nous occupe 8h par jour, 5j par semaine n’apporte rien d’indispensable à la société), ce confinement qui aurait aussi pu être un musellement a incité à utiliser d’autres façons de s’exprimer et de partager ses revendications à l’instar des nombreuses caricatures, dessins, bandes dessinées, chansons qui ont circulé sur les réseaux sociaux via les amis de mes amis de mes pas amis pour résumer la situation en temps réel, des manifestations virtuelles et de carton, des concerts de casseroles, des parterres de chaussures vides… Ou encore, avec une autre dimension, les balconnades de 20h, qui, outre un merci envoyés aux travailleurs confinés, sont aussi, comme me le rappelait un très amical voisin, une façon de fusionner nos solitudes de jour et d’être ensemble quelques instants. Cela n’a certes pas le goût des pavés – pour ceux qui les arpentent habituellement – mais c’est ne pas rien !

(1) https://www.courrierinternational.com/article/sommeil-pourquoi-nos-reves-confines-sont-si-riches
(2) https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/letoffe-des-reves

 

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L’autre jour, en faisant la queue pour entrer au New World, à Wellington donc (j’ai presque déjà l’impression que c’était dans une vie antérieure), connectée au wifi ouvert du centre ville, j’ai découvert cette citation d’Osho Rajneesh sur la page FB « Psychologie Jungienne » à laquelle je ne suis pas abonnée mais dont certains de mes contacts relaient par moment les posts composés par je ne sais qui d’ailleurs : « Un rebelle est celui qui ne réagit pas contre la société. Il observe et comprend tout le manège et il décide simplement de ne pas en faire partie. Il n’est pas contre la société, il est plutôt indifférent à ce qui s’y passe. C’est la beauté de la rébellion : la liberté. Le révolutionnaire n’est pas libre. Il est constamment en train de se battre, de lutter avec quelque chose. Comment pourrait-il donc être libre ? ».

D’abord, vérifier ses sources. Les citations apocryphes sont légions et je ne sais exactement ce qu’il en est de celle-ci. Par exemple, Galilée n’aurait jamais dit : « Et pourtant, elle tourne ! », Malraux n’a jamais annoncé que « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas », Marie-Antoinette ne s’est jamais exclamée « Qu’ils mangent de la brioche ! », ni Schopenhaeur que « la femme est un animal à cheveux longs et idées courtes »… Figurez-vous qu’Andy Warhol n’aurait même jamais prononcé sa phrase pourtant la plus célèbre : « Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale ». C’est terrible, non, d’être célébré pour une phrase dont on n’est même pas l’auteur. Pire, Sherlock Holmes ne s’est jamais adressé à son ami par un « Elémentaire mon cher Watson ! »… Que dire également de Lavoisier à qui l’on prête, faussement donc puisque tel est l’objet de ce paragraphe, cette phrase que j’ai moi-même colportée sans savoir : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » ? Et une dernière, supposée de Darwin, mais non : « Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements » alors que selon un spécialiste de l’auteur de « L’origine des espèces », il privilégiait plutôt la chance – encore un drôle de concept que celle-ci, du même acabit que la question « le hasard existe-t-il ? » à laquelle elle est d’ailleurs intimement liée – et le fait de disposer déjà des « bonnes caractéristiques physiques pour les transmettre à la génération suivante ». C’est tout de même bien différent… C’est fou comme le temps et ceux qui l’habitent distordent les faits. C’est fou comme l’Histoire peut être subjective et relative quand on la pense naïvement objective et absolue.

Je reviens cependant à ma citation liminaire. La suite, s’intéresser un minimum à leur auteur – j’apprends donc que le sieur en question, dont le nom n’est pas exactement celui-là, a eu un parcours plutôt controversé… Me faut-il de fait séparer le penseur de l’homme ? Ce n’est pas drôle. Je me contenterai donc d’explorer le contenu. Je me suis arrêtée sur ce raisonnement pour au moins deux raisons. La première est totalement conjoncturelle, la seconde entièrement personnelle et/ou identitaire. Commençons par celle-ci. Je ne me définis pas comme étant une personne engagée. Et par engagée, j’entends politiquement et/ou socialement – je sais qu’il revêt une forme bien plus large que cela et que ma vie n’est pas dépourvue d’engagements. De fait, je n’ai commencé à voter que tardivement – parce que je pensais que le pouvoir pervertissait tous les idéaux… ce serait faux d’affirmer que je ne le crois plus, mais je vote, plus pour éviter ce que j’estime être le pire que parce que j’y vois une porte d’accès au meilleur. Dans le même esprit, j’ai rarement participé à des manifestations, quand bien même j’en partageais les revendications. Pour compenser ou comprendre, je ne sais pas vraiment mais cela n’a jamais été calculé, j’ai remarqué qu’au fil du temps, je m’étais naturellement entourée de personnes qui, à mes yeux, incarnaient cet engagement social et politique me faisant a priori défaut. Et je les admire sincèrement pour cela, pour leurs colères, leurs luttes, leurs exaspérations, leurs « tu te rends compte, on ne peut pas laisser faire ça ! », leurs indignations, leurs banderoles, chants, cris, danses et poings levés, pour toutes ces façons qu’elles ont de proclamer qu’elles ne sont pas d’accord avec ce que l’« on » veut leur faire avaler… J’écris « on » mais c’est « nous » en fait. Je les admire et je les trouve magnifiques, justes et légitimes dans leurs combats. Et ces derniers mois, voire ces dernières années, il me semble que les raisons de se rebeller – pas au sens d’Osho donc – contre l’ordre établi n’ont pas manqué. Elles se sont même multipliées. Mais pourquoi donc suis-je partie dans cette direction aujourd’hui ? Bref… Toujours est-il que ce pseudo ou faux détachement de ma part à l’égard d’une certaine manifestation de la réalité – disons, la plus concrète, celle qui agit le plus directement sur notre quotidien – m’a longtemps fait culpabiliser et m’interroger. J’ai finalement réussi à me défaire de ce sentiment – ce qui n’est pas une mince affaire – car je comprends aujourd’hui à quel point chacun est sur son chemin. Que ce chemin-là n’est pas le mien. Et que le mien est parfait. Parfait ne veut pas dire qu’il est sans défaut et sans reproche, qu’il ne pourrait rien y avoir de meilleur. Non, il est parfait parce que c’est le mien.

Je ne sais pas encore tout à fait ce que je construis – j’espère transmettre et partager du beau, des étincelles dans les yeux, des sourires sur les lèvres, ma passion en toutes choses, de la joie, mais aussi de la légèreté, peut-être un peu d’espoir et de lumière quand certains ne voient plus que des ombres, ou encore des pistes de réflexion, l’envie d’y croire ou de voir les choses autrement ; plus que tout, un amour de la vie et des autres… Ce serait déjà beaucoup. Mais je sais que je ne m’oppose pas à la société. La société est ce qu’elle est. Elle aussi est sur son chemin, à une échelle macroscopique. Ce n’est pas simple d’écrire cette phrase en ayant conscience de tout ce qui est bancal et inacceptable sur cette planète. Enfin, ce n’est pas « sur cette planète » car on pourrait croire qu’elle est fautive alors qu’elle est simplement l’hôte de nos ignominies.

Je me reconnais donc dans cette propension à observer de loin, à essayer de comprendre ce qui motive telle ou telle action, à décider de la laisser vivre sa vie sans m’en offusquer, et à continuer à chercher le beau, le pur, l’harmonie sans me laisser polluer par un certain visage de la réalité. Car, comme je l’écrivais précédemment, elle n’est pas unique. Elles sont des milliards à coexister. Aucune réalité n’est objective même s’il nous est essentiel de nous entendre sur certains éléments pour communiquer et nous comprendre. Et j’ai la candeur de croire que chacun a le pouvoir de décider, non sans effort certes, voire douleur, la réalité dans laquelle il souhaite évoluer.

A l’heure où l’Après se prépare en théorie – car nous sommes toujours limités dans nos mouvements et que la concrétisation de nos velléités de changement se heurtent, pour l’heure, à la réalité du confinement –, ma priorité ne sera donc pas, lorsque les portes seront rouvertes, de me battre contre le régime en place. Ce ne sera pas de l’indifférence pour autant, bien au contraire. De mon strict point de vue, qui n’est en aucun cas un jugement, j’aurais le sentiment de m’épuiser en vain à lutter contre un système dépassé et du passé. Et donc de grignoter inutilement une énergie positive que je préfère dédier à des actions sur lesquelles j’ai la main et comme je l’écrivais précédemment également, dont la réussite ne dépend pas de tiers aux règles illogiques, incohérentes, contradictoires, injustes mais presque que de moi, ou plutôt d’un groupe, même petit au début, de personnes partageant les mêmes valeurs, les mêmes envies, les mêmes idéaux, les mêmes rêves, et cheminant vers eux en (se faisant) confiance… Nous avons les moyens d’écrire le futur que nous souhaitons. Le croire, c’est déjà le faire exister. Alors, nous serons libres. Et peut-être même, des rebelles…

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Voilà une semaine exactement que je suis rentrée. Ou alors, voilà une semaine exactement que j’ai quitté la Nouvelle Zélande. Le résultat est le même, mais la nuance existe.

Cela fait aussi bientôt 4 mois que je n’ai pas vu, en vrai, en chair et en os, ma famille et mes amis. De retour de voyages plus ou moins longs, c’est naturellement vers eux que je me tourne rapidement. Pas là. Et je ne sais quand je pourrai les embrasser et les serrer à nouveau dans mes bras. A partir du 12 mai peut-être, pour ceux vivant à 100 km à la ronde. Plus tard encore, sans que cela ne soit clairement défini, pour les plus proches. Paradoxalement. Je me demande si l’on peut s’habituer à ne voir les personnes que l’on aime qu’au travers d’un écran, en deux dimensions.

Je crois qu’après tout cela, après tous ces contacts évités et chargés d’une potentielle dangerosité, après ces semaines à considérer les autres corps comme des menaces, ce sera un moment étrange. Même avec les intimes. Un peu comme un premier rendez-vous, maladroit. Il y a d’ailleurs de fortes chances que certains de nos nouveaux réflexes de distanciation physique aussi bien personnelle que sociale perdurent et viennent s’ajouter à nos radars internes, se mettant instinctivement en branle et allumant nos warning – merci à notre cerveau reptilien d’être encore actif ! – dès lors qu’une personne pénètre un périmètre que nous estimons intime sans l’être pour autant, un intime. Ces distances s’avèrent d’ailleurs très variables d’une personne à l’autre, mais aussi d’une culture à l’autre. Voilà qui me renvoie instantanément au Japon, où les contacts physiques en public sont (très) mal vus, et simultanément, en Italie ou en Tunisie, à l’autre bout du spectre en matière d’interactions corporelles… D’ailleurs, la proxémie, qu’a conceptualisé l’anthropologue Edward Twitchell Hall dans les années 60 et décrit dans son livre « La dimension cachée » que j’ai dû lire il y a 20 ans, a assurément joué un rôle important dans la transmission du coronavirus au sein de territoires définis. Les experts en la matière se pencheront peut-être dessus une fois la tempête passée.

Ceci étant dit, depuis une semaine donc, entre rencontres fortuites et heureuses dans la rue, rendez-vous arrangés amicaux à 1 mètre or so et montre en main, moments partagés sur le palier chacun de son côté, échanges inattendus à la criée entre balcon et ras du bitume, ma vie sociale au temps du corona – même minutée, « périmétrée », surveillée, distanciée – ressemblerait presque à quelque chose…

En dépit de cela, il n’en demeure pas moins que la froideur du béton me saute aux yeux comme jamais auparavant. J’ai toujours aimé la ville, l’arpenter en long en large et en travers, les yeux en l’air à admirer les façades, à scruter les édifices en construction, mais là, je ne vois que des murs, que des frontières, que des barrières, que des obstacles. La ville m’apparaît si inhumaine que j’ai presque du mal à comprendre comment son étreinte a pu durer si longtemps.

Là-bas – j’ai eu maintes fois l’occasion de le dire, de l’écrire et je ne me priverai pas de me répéter, car, désormais loin, je réalise encore plus ma chance d’avoir pu vivre cette immersion et à quel point le timing est parfait –, j’ai eu la sensation d’être à la fois intimement et concrètement connectée à la Terre et au Cosmos, à la montagne, aux océans, aux profondeurs de la planète, aux forêts, aux rivières et à tous leurs habitants, aux étoiles, aux galaxies et au-delà… Cela demande un réel effort de projection voire d’imagination dans nos cités ultra-bétonnées où l’on ne voit même plus la terre, ni les étoiles, et parfois même pas le ciel, où les arbres sont enfermés, les fleuves dirigés… Ce lien me paraît pourtant essentiel, vital même, notamment parce qu’il nous relie à quelque chose d’incommensurable tout en invitant à aimer notre planète. Et, aimer, idéalement, c’est respecter. Je pense à cette maxime « loin des yeux, loin du cœur » souvent associée aux personnes que l’on finit par oublier ou désaimer, faute de les voir… Et bien, elle est aussi vraie avec la Nature, intérieure et extérieure, sur Terre et au-delà. N’oublions pas de regarder et d’aller voir au-delà des cités de pierre pour nous rappeler qui nous sommes et qui sait, aller voir là-bas si nous y sommes…

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Vous propose-t-on, à vous aussi, lorsque vous naviguez sur Internet, des publicités pour des masques en tous genres, chirurgicaux, à deux plis, ffp3, antipoussière avec soupape, à visière – même teintée, pour voir la vie en rose peut-être –, ffp2, à usage unique, en tissu lavable, afnor, en tissu homologué, en wax ? Je n’ai jamais été aussi au fait de l’étendue de l’offre de masques ! Et j’imagine bientôt la récupération : « Ce masque bien sous tout rapport vous a été offert par Seforhein ! » ou « Pour deux tablettes de chocolat Côte d’Argent achetées, un masque comestible offert ! ». Je vous l’accorde, cela ne vous protègerait pas réellement – ni les autres –, mais ce serait amusant. Un peu comme de manger une glace en plein été !
Qui a salivé en pensant au chocolat ? Je vérifie simplement un point sur les neurones miroirs que j’avais mentionné il y a quelques jours ou semaines, je ne sais plus, en évoquant le bon pâté du Périgord planqué au fond de la dernière étagère de mon placard que je me ferais un plaisir d’ouvrir en rentrant. Si vous voulez tout savoir, comme le lance Sally à Harry lors de leur trajet Chicago-New York, et bien, nous l’avons ouverte. D’ailleurs, je vais me chercher un morceau de chocolat.

Ah, et sinon, je viens de visualiser le masque que pourrait proposer la marque au swoosh, la virgule à la hauteur de la bouche – pour un sourire permanent, de biais, mais sincère… je suggère, de ce fait, une mutualisation des coûts avec UltraDark – et un nouveau slogan pour l’occasion : « Just keep it! ». A ne pas confondre avec « Just skip it » – « Passez votre chemin » –, en s’associant avec une marque de lessive, qui pourrait cependant avoir du sens dans une perspective de généralisation à long terme de distanciation sociale.

A ce propos, je m’étonnais l’autre jour que mon smartphone se soit aussi rapidement adapté à la situation en me proposant d’emblée, lorsque je compose mes messages, les mots pandémie, coronavirus, confinement, autorisation spéciale d’absence, télétravail, covid-19, apocalypse, chloroquine, rapatriement, dystopie, ambassade (pas de lien de causalité entre ce mot et le précédent), lockdown (parce que j’ai pris le tic de mélanger français et anglais dans certains de mes messages… non, c’est pas vrai), déconfinement, quarantaine, masque, attestation de déplacement dérogatoire, nouvel ordre, nouveau monde, l’après… D’ailleurs, j’attends avec impatience l’édition du Petit Robert 2021 dans lequel vont certainement débarquer d’autres nouveaux mots et néologismes – dans les faits, tous ne le sont pas, mais ils prenaient sérieusement la poussière en pages 264, 517 et 810, ou alors n’étaient utilisés que par une faible proportion de la population, une niche comme on dit – nés de l’imagination et de la créativité prolifique des confinés en temps de pandémie : comorbidité, Sars-coV-2, période d’incubation, gestes barrières, Whatsappero, clapping, coronabdos, lundimanche, confifi, confiner, covidéprimer, zoomer, covidiot, désinfox, cluster, quatorzaine, immunité collective, corona-sceptique… Je ne sais pas comment cela se passe dans le monde des mots, s’ils sont tous là, à vouloir se hisser sur la couverture solide du dictionnaire en levant la première lettre, car ils sont bien élevés : « Moi ! Moi ! Moi ! Je veux me rendre utile ! Je veux aider les humains à s’exprimer de façon juste en cette période si complexe ! » « Qui es-tu toi, j’ai du mal à te lire, tu es très grand ? » lui lance le Gardien des Mots, qui décide également des entrées et des sorties. « Asymptomatique Maître ! » « Ah ! Tu as bien raison, ils vont avoir besoin de toi ! Mais souviens-toi que tu rassureras autant que tu effraieras ! Bon, tu es prêt, je te déconfine ! Va, vis et deviens ! »… Quelques heures plus tard en lançant une recherche sur le mot libéré, rayon Actus. 22400 occurrences : « L’énigme des personnes asymptomatiques », « Environ 25% des personnes infectées seraient asymptomatiques », « Ces asymptomatiques qui vous entourent », « Les personnes asymptomatiques seraient aussi contagieuses que les autres », « Quatre infections sur 5 seraient asymptomatiques selon une étude »… Ce qui, je suis d’accord, n’est pas compatible avec un titre précédent tablant plutôt sur 1 cas sur 4. Mais sommes-nous réellement à une contradiction près ?

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Dans les dystopies ou films (post-)apocalyptiques, la météo est toujours exécrable. Pas là. Deux possibilités : soit tout va vite s’arranger – j’ai annoncé le contraire hier –, soit les auteurs de ces histoires ont un peu trop forcé le trait – qu’il fasse grand beau alors que le monde vacille serait pourtant particulièrement cruel, cynique et contre-intuitif. Imaginez un film comme Blade Runneren plein soleil, Rick Deckard et Roy Batty sans cette pluie continue et magnifique qui leur tombe dessus comme le poids de tous les malheurs du monde, cela ne ressemblerait strictement à rien ! Et Vangelis devrait revoir sa partition ! Ceci dit, ce que nous vivons n’est ni une dystopie ni un film hollywoodien, c’est la réalité.

Enfin, une certaine réalité. Car la réalité, c’est un peu comme les tirages en photographie, il en existe une infinité même si nous partageons le même fait (le négatif, si je poursuis la comparaison avec le médium, qui, dans le cas présent, est incarné par le virus…). Ma réalité n’a en effet rien à voir avec celle de mes voisins du premier qui doivent gérer leurs jeunes enfants et télétravailler, ou de ces familles de Seine Saint Denis qui n’ont plus de quoi se nourrir, ou encore de ces amis en Ardèche qui cultivent paisiblement leur jardin, ou de celle-ci qui a compris a posteriori qu’elle avait été infectée, ou de ces femmes victimes de violences conjugales encore plus fragilisées par le confinement, ou de cette amie coincée au Pérou alors qu’il n’y a plus d’avion, ou de cette autre amie travaillant en ehpad en province, ou de celle-ci dont le mari est plongé dans le coma depuis 30 jours, ou de cet ami à Taïwan qui n’est pas confiné, ou encore de ma sœur qui a dû fermer son tout jeune B&B en Ecosse pour une durée indéterminée avant même que la saison touristique ne commence (je vous donnerai l’adresse en temps utile si vous cherchez un petit coin de paradis pas trop loin), où de cette autre amie dont le mari, étranger et en voyage dans sa famille au moment où les frontières ont été précipitamment fermées, ne peut pas rentrer car il n’est pas français, ou encore de celle ci qui, avec son association, a cousu 8000 masques en 34 jours… Face au même événement, nous vivons tous les choses différemment. Comme d’habitude. Le même fait aura fait trembler des familles, créé des vocations, révélé des personnalités, généré l’effroi, prolongé des vacances, séparé des êtres chers, généré des drames, et parfois, il n’aura rien bousculé du tout ou si peu.

Concrètement, depuis que j’ai reposé les pieds sur le sol français, il y a un peu moins d’une semaine, j’ai l’impression d’être à Paris en plein mois d’août, allez juillet, plutôt qu’en confinement pour cause de pandémie globalisée, alors qu’il serait l’un des plus stricts au monde. Je peux même affirmer que je me sentais plus confinée à Wellington qu’ici alors que je pouvais me promener plus librement.

Les fenêtres de mon appartement sont ouvertes. Moi qui pensais être au calme jusqu’au 11 mai, j’entends la ville s’agiter comme avant, la sirène d’une voiture de police, le bus qui redémarre après avoir marqué son arrêt, le 15 tonnes qui freine au feu en couinant, les voitures qui circulent en continu, les motos qui accélèrent, le camion qui nettoie le trottoir… J’entends une scie circulaire, des coups de marteau. Un homme aussi qui tousse et se racle la gorge si fort que je me dis qu’il le fait exprès. Qu’en des temps anciens, je n’y aurais peut-être pas prêté attention. D’ailleurs, dès que j’entends une personne tousser plus d’une fois, et pas éternuer, ma pensée dérive et je m’interroge. Pourtant, je ne suis pas angoissée. Un autre crie « enc.. de ta… » – non, je ne peux même pas l’écrire, c’est trop vulgaire – probablement pour une priorité refusée ou un clignotant oublié. Enfin, un de ces trucs importants, vous voyez.

Je suis sortie chaque jour faire une heure (et quelque) de promenade, me tenant ma propre laisse pour n’aller ni trop vite ni trop loin, arpentant les rues de mon quartier comme s’il y avait quelque trésor à y découvrir. Certes, certains portent des masques et/ou des gants. Et il faut parfois faire la queue pour entrer dans certains magasins mais il y a aussi beaucoup de monde dans les rues – plus que je ne me le figurais, même si j’ai bien conscience que c’est mathématique, compte tenu de la densité de population en région parisienne – ; beaucoup d’enfants qui jouent ensemble autour du kiosque à musique ; beaucoup de personnes regroupées sans, a priori, partager la même bubble… C’est assez étonnant, un peu déconcertant aussi. Enfin, je ne m’imaginais pas le confinement ainsi. Je suis à la fois rassurée et perplexe. Il souffle quelque chose de très futile sur un moment qui me semble tout de même emprunt d’une certaine gravité.

Et puis, je commence aussi à avoir la sensation d’être un 31 décembre ou à la fin de vacances pendant lesquelles j’aurais eu un mode de vie différent. Vous savez, ces moments particuliers où nous sommes tentés de prendre de nouvelles résolutions pour la suite. Sauf qu’il ne s’agit pas de passer à 2021 avec 8 mois d’avance, mais de se projeter sur une après pandémie. Ce n’est pas comme s’il en survenait tous les ans… « Je vais sûrement démissionner », « j’ai décidé de devenir végétarien », « je veux m’occuper de mes enfants à temps plein », « j’ai décidé de prendre ma part de charge mentale », « nous allons sûrement quitter la ville pour vivre dans un lieu autogéré », « je suis prête à quitter mon métier-passion pour aller vivre à la campagne » peut-on ainsi lire dans un article récent de France Info (1). Je me reconnais dans deux moitiés de ces résolutions, que j’inscris noir sur blanc ici pour ne pas l’oublier et en faire une sorte d’engagement : « nous allons sûrement quitter la ville pour aller vivre à la campagne ». Et vous, avez-vous pensé à changer quelque chose dans votre vie prochaine ?

(1) https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/etapres-demenager-demissionner-changer-d-alimentation-vous-nous-avez-raconte-vos-envies-de-changement-apres-la-crise-du-coronavirus_3928675.html

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C’est étrange, l’optimisme. Quoi qu’il se passe, on trouve toujours un moyen d’y croire, de voir la lumière au fond du tunnel – même s’il est long, et haut, et large – et de chercher un moyen de la rejoindre – même s’il s’agrandit en chemin (hé bien, la route sera plus longue !), même si des esprits malins tentent de l’obstruer avec d’imposants rochers (hé bien, il faudra les escalader ou trouver une faille !)… Je me perçois donc comme une personne profondément optimiste. Entre autres. A tel point que j’arrive à penser certains jours que même les plus pessimistes d’entre nous sont, en fait, des optimistes en sommeil. Et que c’est cette trace d’optimisme tapie au fond d’eux qui, même si jamais ils ne l’admettront, les maintient en vie. Car comment vivre, comment vouloir continuer à vivre, surtout, en étant foncièrement persuadé que le jour prochain, la semaine prochaine, le mois prochain, l’année prochaine, la décennie prochaine, le siècle prochain sera pire qu’aujourd’hui ? A mes yeux, cela n’aurait pas de sens. Ce ne serait pas logique, pas cohérent. D’où mon raisonnement initial.

Bien sûr, notre regard est toujours biaisé par notre propre approche de la vie. Et me revient à l’esprit cette phrase, extraite du livre de Jérôme Ferrari, Le principe, que j’avais notée dans mon carnet du moment il y a quelques années : « On essaye de comprendre les choses à partir de sa propre expérience parce que c’est tout ce dont on dispose et c’est, bien sûr, très insuffisant ». Il parlait alors de physique, le principe du titre étant celui d’incertitude (ah ah !), ou d’indétermination, énoncé par Werner Heisenberg en 1927, qui stipule qu’il est impossible de connaître simultanément la position et la vitesse exactes d’une particule (quantique). Une vraie révolution scientifique par ailleurs. Mais, là encore, ce que je retiens de cette phrase sortie de son contexte tout à la fois fictionnel et épistémologique, est que pour être en mesure de comprendre les choses, il faut les vivre. Je choisis évidemment les citations qui résonnent et raisonnent en moi. Celle-ci m’invite, à sa manière, à avoir le plus d’expériences possibles si je veux comprendre le monde – même si j’ai récemment cité Patrick Viveret disant qu’il fallait accepter de ne pas tout vivre… et par conséquent, accepter de ne pas tout comprendre.

Ce qui tombe très bien car en ce moment, beaucoup de choses échappent à mon entendement, non pas dans les faits eux-mêmes – la pandémie, j’ai bien compris comment elle s’était propagée et c’est très logique – mais plutôt dans les processus de prises de décision à l’échelle des organisations qui en ont découlé pour la contenir, ou pas. Parfois, j’en viens d’ailleurs à penser que le covid-19 n’est pas responsable du chaos actuel et à venir, il en est simplement le détonateur, l’étincelle. Suivant cette logique, l’incendie qui a suivi dans de nombreux pays, et qui, parfois, n’est toujours pas éteint, serait, quant à lui, la conséquence des décisions prises, hier et aujourd’hui, par ce que l’on a pour habitude d’appeler « le sommet ». Volontairement, involontairement, je ne m’aventurerai pas sur ce terrain. Que des pays comme Taïwan, la Nouvelle Zélande, l’Islande, Singapour, la Finlande, l’Allemagne, le Danemark, la Norvège, Hong Kong – dont, soit dit en passant et comme cela a été relevé il y a quelques semaines, 7 sont dirigés par des femmes, même si concomitance n’est pas corrélation – aient été relativement épargnés par la crise, n’ayant, pour certains, même pas eu recours au confinement, en serait presque une preuve… En ce sens, accepter de ne pas tout comprendre me permet de garder mon calme, de ne pas perdre de temps à essayer de comprendre malgré tout car je ne suis pas câblée « comme il faut » et que l’irrationnel est aux commandes, et de concentrer mon énergie sur quelque chose dont je maîtrise les tenants et les aboutissants.

Les mots de Ferrari m’apprennent également qu’en tant qu’optimiste auto-proclamée, je ne peux pas me mettre dans la peau d’un pessimiste. Et donc, que mon raisonnement liminaire ne vaut rien. Parfois, je me dis que, par les temps qui courent, l’optimiste est indécent. Mais je me souviens alors que ce dernier n’a pas forcément chaussé des œillères pour le rester… Au contraire. Il sait, il s’informe, il voit, il intègre, il connecte, et pourtant, il croit en des jours meilleurs, il a confiance. Ne mélangeons pas tout, l’optimiste ne se dit pas forcément que tout va s’arranger. Non, non, non… Il a conscience que ce sera difficile, qu’il faudra revoir sa copie et que cela ne se fera pas sans lutte – car la résistance au changement est pire que le changement lui-même –, mais, il sent, qu’au final, cela ira. La vie sera la plus forte.

Je ne vous cache pas qu’il m’arrive de me demander d’où me vient cet optimisme inoxydable (teinté d’une indéniable mélancolie tout de même). Ces jours-là, je m’invective : « non, mais tu es sûre de vouloir rester optimiste ? Parce que là, ouvre les yeux, la situation est quand même assez catastrophique, désespérée même, je ne vois pas comment elle pourrait s’améliorer avec tout ce qui nous attend alors que tout s’est effondré, que l’imbécilité est au sommet, que la planète suffoque, que les êtres humains n’ont jamais été aussi discriminés et isolés… Tu veux vraiment la liste complète ? Elle est où ta lumière au bout du tunnel, hein ? Elle est où ? » « Oui, je sais, je sais tout cela, mais c’est plus fort que moi, j’y crois encore ! » Quand on y réfléchit un peu, c’est fou. Pour me l’expliquer, j’ose un raccourci comme je les affectionne – l’alternative m’amènerait à m’inscrire à une énième thèse, une par raccourci commis dans mes textes depuis des années –, l’optimisme vient du cœur, de l’âme, et non pas de la raison.

Il vient donc d’un endroit bien plus profond, bien plus intérieur, bien plus mystérieux, bien plus subtil, bien plus ancien que nos propres vies. Et évidemment, je lui fais confiance pour me montrer le chemin.

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Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Les onglets de mon navigateur web relatifs au covid-19 en Nouvelle Zélande sont toujours ouverts. Il y a notamment la page dédiée au virus sur le site du Ministère de la Santé qui relaie essentiellement les statistiques du jour – cette crise mondiale nous montre d’ailleurs à quel point elles sont un instrument de manipulation politique alors même que les chiffres sont sensés traduire des faits indiscutables : 5 cas aujourd’hui, dont 4 liés à un cluster ; plus que 7 personnes à l’hôpital ; 1118 personnes guéries sur les 1461 touchées ; 115 015 tests réalisés… Cela me réjouit de lire ça.

Je crois que j’aurais aimé être sur place le jour – prochain a priori – où, pour la première fois, la case des nouveaux cas des dernières 24h affichera un zéro pointé. J’en aurais eu des frissons, car je l’aurais vécu comme une victoire collective, celle d’une population unie et disciplinée (sans le côté péjoratif associé parfois à cet adjectif) et d’un gouvernement rationnel et empathique, sur une menace invisible à l’œil nu mais potentiellement ravageuse. J’utilise le conditionnel passé – soit dit en passant, un temps qui permet d’évoquer un fait dans le futur, donc pas encore passé, qui aurait pu avoir lieu si le présent, donc ni le passé ni le futur, avait été différent – mais je pourrai évidemment suivre tout cela à distance et en différé de 10h. Simplement, j’aurai moins la sensation – et satisfaction – d’en faire partie. Ce n’est pas grand chose mais j’avais fini par embrasser les slogans efficaces du gouvernement, qui a articulé sa communication autour de messages simples et forts, à l’instar de son « Stay home. Save lives » diffusé partout dès le début du confinement il y a un mois. Un message facile à comprendre et touchant droit au cœur : à contrainte exceptionnelle, effet exceptionnel. Voilà qui s’affiche presque comme une illustration de la 3eloi de Newton, celle d’action / réaction. Quand, dans notre vie, avons-nous réellement l’occasion de sauver d’autres vies aussi facilement ? Il y a une part de naïveté dans cette approche – la réalité est toujours plus complexe –, j’en ai conscience. Et en même temps, si l’on fait le raisonnement inverse, on se rend aussi compte que de nombreux décès sont imputables au non respect de cette précaution simple et, mais c’est lié, à cette croyance aussi étonnante que commune que cela ne peut pas nous toucher, enfin, me toucher personnellement, et qu’a fortiori, je ne peux être vecteur de la mort… C’est incroyablement compliqué…

Sinon, je parcours encore les messages du groupe FB des Français en NZ, un peu par embryo-nostalgie et aussi pour suivre la situation sur place. Certains se sont virtuellement réunis pour demander un nouveau vol à l’Ambassade alors qu’elle a annoncé que celui du 21, que nous avons pris donc, était le dernier. D’autres parlent de vols retour initialement prévus début juin qui commencent à être annulés par les compagnies aériennes et reportés automatiquement à juillet. Certains se projettent même à septembre, même si, pour l’heure, il n’y a rien d’officiel et que ce sont toujours des rumeurs. Elles sont terribles les rumeurs. D’où émergent-elles, les rumeurs ? Toutes ces informations nous confortent encore plus dans notre décision que, même sans elles, nous n’aurions pas regrettée.

Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Dans mon lit, la nuit, au lieu de compter les moutons – en vrai, je tombe comme une masse à 22h depuis notre retour –, je refais mentalement le chemin de notre appartement à « mon » arbre dans la forêt derrière, celui au cœur duquel j’allais, chaque jour, méditer et papoter un peu. Gauche, gauche, gauche, ça monte sec, gauche, attention au tronc, attention aux racines, était-elle cassée cette branche hier ?, la toile d’araignée a disparu, que j’aime ce sol meuble, le voilà, plus que quelques mètres, j’en ai le cœur noué, je m’approche, je le regarde de bas en haut s’évader vers l’infini du ciel, contact, connexion, vibration. Il semblerait qu’ainsi accrochée, j’aie effrayé et intrigué plus d’une personne passant par là. Est-ce vraiment si étrange que cela de communier avec un arbre (en silence, je précise) ? Surtout, dans un pays où les éléments sont si présents et nous appellent autant ? Je ne sais combien de temps je conserverai une vision aussi fine et fidèle de cet univers-là… Aussi, pour retarder l’oubli, je l’ai mis dans ma boite à lumière. Il me suffit donc de l’ouvrir pour le retrouver. Au moins, visuellement.

Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Surtout lorsque, comme aujourd’hui, je reçois plusieurs messages m’informant de la diffusion d’un documentaire sur la Nouvelle Zélande ce soir à la télévision. Je suis touchée de l’intention et me dis que, peut-être, certains vont pouvoir découvrir un pays sur lequel ils ne se seraient pas penchés sans ce lien amical entre nous. Ceci dit, je ne sais pas si je le regarderai… Sans doute un jour, pas tout de suite. Le temps de vraiment atterrir et d’être entièrement ici…

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J’ai dû adapter mon titre pour coller à mon actualité géographique… Pour être tout à fait exacte, il faudra d’ailleurs que je modifie les 28 précédents en spécifiant « en Nouvelle Zélande » avant « confinement ». Je ne sais combien de personnes dans le monde auront eu la chance de le vivre dans deux pays différents et si différents l’un de l’autre à tous points de vue, mais voilà qui me fait sentir un peu spéciale aujourd’hui.

Dans quelques années, au coin du feu de ma maison en bois nichée au cœur de la forêt, je pourrai raconter aux oiseaux de passage que j’ai traversé Le Grand Confinement d’abord en Nouvelle Zélande, où le virus a été éliminé en un bon mois, pour le finir en France, où il a circulé des années durant, avec et sans masque… The Great Lockdown, voici donc le nom qui a été choisi pour qualifier cette période particulière, qui signe, selon l’historien Jérôme Baschet, le vrai début du 21esiècle (1), au même titre que la 1reguerre mondiale avait, a posteriori, lancé le 20esiècle. Si je comprends bien la logique, un nouveau siècle doit commencer par une catastrophe planétaire. Voilà qui est encourageant ! Notons qu’entre ces deux événements majeurs, les 100 années sont presque respectées. Est-ce à dire que les bouleversements à l’échelle mondiale surviennent à une fréquence régulière ? Et si oui, qu’ils sont donc prévisibles ?

Etrangement, « Le Grand Confinement », expression inventée par le FMI pour faire écho à La Grande Dépression des années 1930 et à La Grande Récession post-crise financière de 2008, ne renvoie pas à la situation sanitaire mondiale mais à la crise économique sans précédent qui découle de cette pandémie de coronavirus. C’est une façon très anglée, très partielle et, en même temps, très révélatrice de notre époque et de « nos » priorités d’aborder cette situation touchant des milliards de personnes, et dont les conséquences sont loin de n’être qu’économiques.

Toutefois, mon premier réflexe en apprenant l’existence de cette dénomination a plutôt été de penser, à nouveau, aux films d’anticipation. En particulier aux dystopies que j’affectionne depuis de nombreuses années pour leurs vertus visionnaire et pédagogique. Ces films nous plongent dans le chaos dès leurs premières minutes, mettent en scène des mondes totalitaires et sclérosés dans lesquels toute personne sensée ne voudrait pas mettre ne serait-ce que le petit orteil gauche. Figure récurrente de ces fictions dont il fait régulièrement l’introduction, un montage vidéo d’images d’archives – sans doute en partie réelles – montrant, comment, progressivement, la situation – économique, sociale, politique, sanitaire, écologique dans tel pays, sur tel continent, dans le monde entier même si ça ne se dit pas selon l’une de mes anciennes prof de français de lycée – a irréversiblement dégénéré, devenant, au bout d’un temps plus ou moins long, totalement incontrôlable. Un magma d’images saccadées, de déchaînement de haine, de montée des inégalités… devant expliquer, si ce n’est justifier, a posteriori – car au présent, on ne voit pas ou on ne veut pas voir, on ne connecte pas les faits entre eux ou si, mais sans y croire –, l’origine du chaos liminaire présenté, dès lors, comme un état de fait.

Il me semble que nous pourrions, dès aujourd’hui et sur la base d’images glanées ça et là dans le monde au cours de ces quatre derniers mois, produire de tels montages, qui, dans ces univers fictionnels, sont rarement suivis d’une embellie. De fait, parfois, nourrie par cette mythologie-là – qui ne l’est que faussement –, je m’imagine que ce que nous vivons actuellement n’est en fait que le premier épisode d’une série que nous avons déjà vue mille fois. Le deuxième épisode ne se profile déjà t-il pas à l’horizon ? Il a même un nom : « La deuxième vague ».

En attendant, je découvre la subtilité des règles du confinement à la française, et dans le même temps, saisis mieux le désarroi évoqué par certains ces dernières semaines, en comprenant, par exemple, que mes promenades quotidiennes – mon « activité physique » – ne sont autorisées que dans un rayon d’un kilomètre au départ de mon domicile et pendant 1h, mais que, paradoxalement ou bizarrement, je peux aller faire des courses – alimentaires, j’ai bien compris ; de toute façon, en temps normal, je n’achète presque rien d’autre – bien au-delà de ce territoire restreint et sur une durée pouvant dépasser l’heure… Que je peux même cocher ces deux cases sur une même dérogation tout en étant en règle. Tout d’un coup, j’ai l’impression que le monde s’ouvre un peu plus. Et aussi que tout cela n’est pas très logique ni cohérent, mais ça, c’est encore autre chose, et je crois en avoir fait le deuil temporairement suite à notre expérience néo-zélandaise – où, pour le coup, le pragmatisme primait – et à ce qu’elle nous a permis d’apprendre en vivant cet événement depuis un autre point de vue… Anyway, il ne me reste plus qu’à trouver une poissonnerie à 5 kilomètres !

 

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/02/jerome-baschet-le-xxie-siecle-a-commence-en-2020-avec-l-entree-en-scene-du-covid-19_6035303_3232.html

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Mardi matin, à 8h40, en quittant le 55b Scarborough Terrace, Mount Victoria, j’ai la désagréable sensation d’être littéralement arrachée à la Nouvelle Zélande. Dans le fond, c’est assez irrationnel, car je ne suis dans le pays que depuis le 10 janvier 2020 – mais l’attachement à un lieu, à une personne est-il réellement proportionnel au temps passé à cet endroit ou avec elle ? – et j’attribue cette perception à la rapidité avec laquelle tout s’est enchaîné depuis vendredi dernier, jour où nous avons signifié à l’Ambassade notre intérêt pour le dernier vol de rapatriement et où nous avons appris, quelques heures après, que nous en serions. Dire que nous espérions presque une réponse négative ne serait pas entièrement loin de la vérité… Ce matin, jeudi 23 avril, alors que je peaufine, depuis mon bureau, chez moi, ce texte maladroitement griffonné dans l’avion, je peux néanmoins affirmer que c’était mieux ainsi.  

Mais, minute papillon. Retournons à Wellington encore quelques instants… Le taxi collectif arrive avec les 5 minutes d’avance potentielles annoncées lors de la réservation en ligne. Nous avons beau avoir mis le réveil tôt pour avoir le temps de tout finaliser sans nous presser, les dernières minutes ressemblent toujours à un champ de bataille ! Tout se passe donc très vite, nous chargeons nous-mêmes nos sacs dans la remorque avec 5 minutes d’avance, nous nous engouffrons dans le minibus vide, nous partons. En deux secondes, la maison a disparu. Les ruptures les plus franches sont-elles moins douloureuses ? Alors que je suis dans le dernier round de ce vol quasi interminable qui nous ramène à la maison, je revois l’olivier, au fond, au coin de la cour, celui-là même dont les branches, agitées par un vent fort, nous avait réveillées en pleine nuit il y a quelques jours. Quelle drôle de place tout de même pour un olivier ! En même temps, quel bonheur de l’avoir eu à nos côtés ces quelques semaines.

Nous filons directement à l’aéroport sans récupérer qui que ce soit d’autre en chemin. Simplement parce qu’il n’y a plus de vol au départ de Wellington ou si peu. Le trajet dure moins de 15 minutes, 15 minutes aussi douloureuses qu’emplies de gratitude à l’égard de cette ville que nous avons tant aimée et qui nous a tant donné en un petit mois, même en y étant confinées. En particulier, une sérénité et un sentiment de sécurité extrêmement précieux dans le contexte chaotique dans lequel est actuellement plongé le monde. Forcément, cette situation exceptionnelle exacerbe les impressions. Le chauffeur nous dépose devant la porte des Départs. Le parking est complètement vide. Il n’y a personne. Quatre, cinq personnes, tout au plus, qui prennent certainement le même vol intérieur que nous. « Bon retour » nous lance-t-il, avant de disparaître. Pour entrer dans l’aéroport, il nous faut montrer patte blanche aux deux dames masquées-gantées postées juste derrière les portes et prouver qu’un vol international nous attend quelque part. « You are with the Embassy? » « Yes! » « You can go. » C’est étrange, un aéroport vide. Cela n’a pas de sens. Nous récupérons notre carte d’embarquement, déposons nos sacs et allons patienter dans le hall, sous ,la protection de deux immenses aigles tout droits sortis des studios WETA et de la mythologie du Seigneur des Anneaux (que nous n’aurons finalement pas regardée). Nous sommes 26 dans ce Bombardier Q300 à hélices pouvant en accueillir le double. Pour respecter la distance de sécurité interpersonnelle de 2 m imposée par le gouvernement, seuls les sièges côté hublot sont occupés. Autant dire que les places étaient chères et que nous avons été bien inspirées de prendre nos billets avant d’avoir la réponse de l’Ambassade. D’ailleurs, entre le matin et le soir, leur prix avait doublé… L’aéroport de Wellington se trouve dans un quartier périphérique de la ville. Il fait beau quand nous quittons la terre ferme. La baie et ses collines habitées s’offrent à notre regard une dernière fois alors que le pilote fait une boucle au dessus de la ville pour s’orienter dans la bonne direction. Quelques minutes seulement après le décollage, nous longeons déjà la côte Est de l’Île du Sud. Au loin, à l’horizon en regardant vers l’Ouest, les Alpes, qui traversent toute l’île dans le sens de la longueur, sont recouvertes d’un manteau neigeux. Quelle splendeur ! D’en haut, je refais une partie de la route parcourue en février en voiture. Là, la péninsule de Kaikoura, ici, l’embouchure du fleuve Hurunui, là, la péninsule de Banks où est tapie Akaroa, le pier de New Brighton et les rues en quadrillage de Christchurch, la ville plate… Je me souviens qu’à l’aller, en janvier, je n’avais pas été aussi impressionnée par ce relief de la côte Est ; je l’avais trouvé bien plus sec et aride que je ne le présumais. C’est étrange comme les perceptions changent selon le point de vue et l’expérience.

Récupération des bagages, l’aéroport de Christchurch est vide. Nous sommes invités à en sortir le temps d’être autorisés à y re-rentrer à 13h. Il est 11h30. Il y a déjà des grappes de Français dehors. Certains se connaissent. D’autres arrivent en taxi, en voiture, en van. Par chance, le soleil est au rendez-vous. Et finalement, nous nous mettons en rang dès 12h. Certains ont des masques, d’autres pas. Les 2m de sécurité ne sont globalement pas respectés. A nouveau, pour pouvoir entrer dans l’aéroport, nous devons présenter la lettre – non nominative – de l’Ambassade disant, à qui de droit, que nous sommes inscrites sur le vol de 5 pm pour Paris le 21 avril, puis nos passeports – « oh, you’ve got long hair now! » –, puis une autre attestation prouvant que nous sommes bien celles à qui sont destinées les deux places. « You can go. » Hormis un vol intérieur vers Auckland dans l’après-midi et un autre vers Chatham Island, l’aéroport ne semble être ouvert que pour nous. Heureusement car nous prenons beaucoup de place ! L’atmosphère est un peu particulière. Très calme cependant. Nous nous glissons dans la longue queue déjà formée des candidats au voyage. Trois personnes de l’Ambassade – reconnaissable grâce à leur gilet jaune fluo au dos duquel est agrafée une feuille siglée de l’Ambassade de France – passent dans les rangs pour distribuer divers documents à compléter avant de partir, puis vérifier qu’ils sont bien remplis, en particulier, que les adresses que nous donnons sont bien celles inscrites sur nos passeports. Nous ne savons pas si cela signifie, par exemple, qu’il est impossible d’aller confiner ailleurs que chez soi… Mais il semblerait que ce soit plus notre adresse fiscale qui les intéresse.

Au bout de ce premier circuit, nous nous arrêtons devant deux personnes assises derrière une table à côté de laquelle trône un drapeau français. Distance de sécurité oblige, nous tendons nos passeports au monsieur tandis que la dame raye nos noms sur la liste des passagers. Il y a a priori des personnes sur liste d’attente, attendant probablement à l’extérieur de l’aéroport en espérant des désistements de dernière minute. Quel stress ce doit être ! Puis nous donnons notre déclaration sur l’honneur attestant que nous paierons les 850 € du vol au Trésor Public avant le 1er juillet, sachant que le vol, affrété par Qatar Airways, est aussi subventionné par l’état français – à quelle hauteur, nous ne le savons pas. Dernière étape avant de pouvoir nous délester de nos bagages : quatre femmes travaillant à l’aéroport distribuent les précieux sésames, à savoir nos cartes d’embarquement. Nous en avons trois chacune, une pour le vol Christchurch – Perth, une pour le Perth – Doha et enfin une pour le Doha – Paris. Trois cartes mais nous allons bien rester dans le même avion, les deux arrêts prévus étant des escales techniques – ravitaillement en kérosène et en repas – et de changement d’équipage. 

C’est à ce moment que nous découvrons que les placements ont été faits par ordre alphabétique et non par groupe de personnes voyageant ensemble, alors même que c’est une information dont disposait l’Ambassade. L’une est en tête de l’avion quand l’autre est en queue… Mais, il est hors de question de faire ce vol de 28h chacune de son côté. Tout le monde est dans le même cas, mêmes les familles avec enfants, placés à côté d’un des deux parents quand ils ne sont pas mariés. C’était sûrement plus pratique à organiser ainsi mais cela génère un petit pincement à l’heure où tout est déjà un peu noué et promet un beau jeu de chaises musicales à l’embarquement… Plus légères de 12 et 13 kg, nous passons la sécurité puis l’immigration. Il n’y aura finalement aucune trace de notre séjour en Nouvelle Zélande sur notre passeport… A l’aller, nous les avions juste scannés et à la sortie, si c’est bien une personne en chair et en os qui assure les vérifications, elle se contente de le scanner à nouveau. Quelle tristesse…

Maintenant, il n’y a plus qu’à attendre. Nous nous étalons sur les divers halls d’embarquement de l’aéroport. Ce qui, pour le Boeing 777 que nous allons investir, représente tout de même quasi 500 personnes. Il n’y aura donc pas de distanciation sociale dans cet avion là. Les partants ? A première vue, en grande majorité, de jeunes pvtistes, les aînés ayant sans doute été déjà rapatriés. Coralie en repère un arborant un T-Shirt estampillé « In tartiflette we trust ». « En voilà un qui annonce la couleur ! » Il est 16h30 passés quand débute l’embarquement zone par zone. Le fond de l’avion en premier. Coralie s’insère dans la queue déjà formée. Sa mission, négocier avec son / sa voisin/e un changement de place pour que nous puissions voyager ensemble. Elle se tourne vers le gars à côté d’elle, jette un œil à sa place ! Bingo, c’est son voisin théorique ! Quelle drôle de coïncidence ! Et qui plus est, c’est monsieur Tartiflette ! What a flair ! Il accepte volontiers d’autant qu’il voyage seul et se récupère une place avec plus d’espace, détail de taille quand on s’apprêter à passer 28h dans un espace aussi confiné qu’un avion. Tout le monde s’installe, les migrations se multiplient, très sagement. Il fait presque nuit quand l’avion décolle de Christchurch et file vers sa première destination intermédiaire, Perth, sur la côte Ouest de l’Australie. C’est parti pour retraverser la planète dans l’autre sens ! Alors que la moitié de la planète est confinée, que nous convergeons vers un pays – le nôtre accessoirement – où les habitants – bientôt nous – ne sont autorisés à se déplacer que dans un rayon d’un kilomètre une fois par jour, la perspective d’en parcourir 20 000 d’un coup est vertigineuse ! Dernier goodbye aux sommets enneigés des Alpes dépassant à peine de la couche nuageuse arrivée avec la nuit tombante. Vénus est déjà dans le ciel, telle un phare que nous ne cherchons pas à approcher, ou un trait d’union entre ce pays que nous quittons et celui que nous rejoignons. « C’est étrange d’être rapatrié dans un pays qui est moins sûr que celui que l’on quitte » relève Coralie. Très juste ! C’est en effet l’inverse en général. Mais nous ne nous attardons pas plus que cela sur cette étrangeté. Une de plus dans un océan de bizarreries. 

L’avion est plein à craquer. Une personne sur deux porte un masque, fait à la main ou acheté, parfois un foulard. Ce qui n’empêche pas de l’enlever, de le glisser sur le menton, de se ronger les ongles, de le trifouiller… Bref, encore quelques heures pour s’y faire et le porter sans saborder ses efforts. Nous avons aussi des masques mais n’avons prévu de les mettre qu’en sortant de l’avion, arrivées à Paris. Notre raisonnement étant que le virus ne circulant pas en Nouvelle Zélande et que toute personne avec des symptômes du virus étant interdite de vol, il y a peu de chance que quelqu’un soit contaminé ci. Peu ne voulant pas dire pas, nous nous lavons et nous désinfectons les mains plus que de raison. 

Nous arrivons à Perth en pleine nuit. Ravitaillement, changement d’équipage. Comme prévu, nous ne sommes pas autorisés à sortir. A peine pouvons-nous nous dégourdir les jambes. C’est amusant car les messages délivrés à l’arrivée en Australie ne sont pas adaptés au caractère exceptionnel de ce vol alors même qu’une vraie personne les transmet et sait pertinemment qu’il s’agit d’un vol de rapatriement. Température extérieure, météo du jour alors que cela n’a strictement aucune importance. Même chose à Doha avec un étonnant « Have a nice stay in Doha ! ». Le séjour le plus rapide de l’histoire du tourisme ! Depuis notre départ de Christchurch, en plus de remonter en latitude, nous remontons également le temps. Notre nuit semble éternelle, elle s’écoule depuis 20h quand le jour finit par se lever à Doha, à 4h du matin. La cité restera cependant dans la brume de chaleur matinale. Seule chose que nous voyons, comme à Christchurch, comme à Perth, les rangées d’avions des compagnies nationales alignés sur le tarmac et privés de vol jusqu’à nouvel ordre. C’est étrange, ce monde arrêté net. Dernière « ligne droite », plus que 6h45 de vol, après celui de 6h ou un peu plus, et l’autre de 11, ou un peu plus. Dire que c’est un long voyage est un euphémisme… Nous évitons de penser, je crois. Mais tout se passe bien, la filmothèque est bien fournie. Nous enchaînons les films, les repas, les interludes de sommeil, les bouts de discussion… Beaucoup ont un train à prendre dans la journée pour aller en province. Certains seront récupérés par un parent à qui il a fallu envoyer une copie des cartes d’embarquement avant de partir pour justifier le déplacement… Le marathon n’est pas encore terminé.

Le commandant de bord finit par annoncer que nous entamons la descente vers Paris Charles de Gaulle et que nous devrions atterrir dans 20 minutes. Voilà, c’est bientôt fini. Nous ne savons pas réellement où nous allons arriver – pas géographiquement bien sûr – mais nous arrivons. Je vois la Tour Eiffel, les tours de La Défense, le Palais de justice de Porte de Clichy, la Seine, les grandes avenues de la capitale. D’en haut, tout semble absolument normal. Dernières secondes en suspension. Touchdown ! Applaudissements nourris. Un gars se hasarde à lâcher « Dépression ! », provoquant l’hilarité dans la cabine… Il fait beau, il fait chaud, c’est toujours bon à prendre. Tout le monde rallume son téléphone pour annoncer à la Terre entière, que, ça y est, nous venons de nous poser. Nous sommes tous attendus. Les réponses affluent rapidement, c’est un moment, somme toute, plutôt heureux.

Allez hop, nous enfilons nos masques. En sortant de l’avion, de l’autre côté d’une vitre, patientent des gens en partance pour le Canada. Ils sont plusieurs à porter une sur-tenue de peintre ou de bricolage, et un masque. C’est assez impressionnant. Bienvenue au pays… Le passage de la douane se fait rapidement. Même masqués. On nous fournit une attestation de retour à domicile à remplir et à présenter, avec nos cartes d’embarquement, en cas de contrôle policier. Tout cela est finalement très administratif, factuel. Plus que les bagages à récupérer et nous pourrons y aller. Une dernière étape qui nécessite cependant la plus grande attention malgré les 36 heures de voyage que nous venons d’enchaîner car 85% des bagages sont des sacs à dos, et parmi ceux là, plus de la moitié sont des Quetchua, et au sein de cette moitié, nous sommes nombreux à avoir exactement les mêmes dans les mêmes couleurs ! Voilà, nous sommes sorties. Personne pour accueillir qui que ce soit, c’est vide, c’est un peu triste, c’est comme ça. Pour la première fois de notre vie de voyageuses, nous optons pour un taxi afin de rentrer plus rapidement chez nous. Sur le trajet, essentiellement de l’autoroute même si la fin se fait en ville et nous étonne presque car il y a finalement pas mal de personnes dehors, nous échangeons quelques mots sur la situation, l’impact sur son quotidien de chauffeur – peu de courses sur Paris, restent les rares vols arrivant, parfois vides, à Roissy -, les décisions prises par le gouvernement, la météo…, et nous voilà au pied de notre immeuble. Soulagement. Quand nous ouvrons la porte de notre appartement, les couleurs et le soleil nous accueillent. Nous sommes chez nous, nous sommes bien, nous sommes là où nous devions être. Nous penserons plus tard. Nous sortirons plus tard.

A 20h, les fenêtres ouvertes, nous entendons des gens applaudir, d’autres klaxonner en voiture. Il nous faut quelques secondes pour connecter les informations entre elles. Et quelques autres encore pour aller nous joindre au groupe, même si, nous n’étions pas là. C’est émouvant. La suite va pouvoir commencer…

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  • avant le petit déjeuner, alors que le jour n’est pas encore là ici et que la nuit arrive en France, faire une dernière relance pour que la 6egénération d’Objectif3280 soit la plus joliment pleine possible, quasi du porte à porte électronique… j’ai toujours l’impression de déranger mais le projet est plus fort que ma gêne, alors, je le fais
  • petit déjeuner
  • se doucher
  • nettoyer la salle de bain (le reste a été fait hier)
  • poster mes deux échos et retrouver, sur google street view, en refaisant la route New Plymouth – Wellington, où j’ai pris cette photo de cimetière que j’ai choisie de déposer sur l’arbre ; je m’autorise à re-participer à Objectif3280 à partir de la G6
  • rassembler tout ce qui est dispersé dans l’appartement au même endroit, ou presque
  • sortir toutes les affaires des sacs
    • « Il est où mon couteau suisse ? Je ne retrouve pas mon couteau suisse ! » « Ne t’inquiète pas, il est forcément quelque part ! » « Oui, forcément, il est quelque part. Mais ici, ce serait bien ! » (…) « Ah, le voilà ! » « Tu vois ! » « Oui, je vois ! »
  • replier toutes nos affaires de façon optimale et faire correctement nos sacs
    • « Il te reste de la place ? » « Un peu… »
  • recompter les kilomètres, à vol d’oiseau
    • Wellington – Christchurch 306 km ; Christchurch – Perth 5055 km ; Perth – Doha 9335 km ; Doha – Paris 4971 km soit 19 667 km !
    • « Elle est à quelle altitude la station spatiale internationale déjà ? » « 406 km » « Tu imagines, ce n’est pas si loin finalement ! » « La prochaine fois, on ira dans l’espace ! » « Chiche ! »
  • faire le point de ce qui reste dans les placards pour imaginer les frichti du jour : c’est comme si tout avait été calculé pour un départ demain matin… parfait !
  • aller acheter des masques et des gants à la pharmacie
    • ouf, il y en a ! nous voilà équipées !
    • « zut, je suis sortie sans mon appareil ! C’est bien la première fois ! » « Et moi qui voulais faire des photos pour répondre à Muriel ! » « De toute manière, on va aller faire un dernier tour en forêt… On repasse à l’appartement, on prend l’appareil… Et j’aimerais bien retourner en ville aussi, pour faire un « carrefour » » « Tu te souviens que le soleil se couche dans un peu plus d’une heure ? » « Oui, oui, on aura le temps ! » (la valise temporelle est de retour !)
  • déposer les masques, prendre une bouteille d’eau, des barres de céréales, mon appareil photo… et la carte SD (heureusement que j’ai vérifié !)
  • s’arrêter en chemin pour que Coralie prenne quelques photos à poster sur Objectif3280
  • dire au-revoir à « mon » arbre, mon grand pin qui m’a accueillie, écoutée et faite vibrer tous les jours depuis le 25 mars. C’est comme si je quittais un ami… En fait, je quitte un ami ! Je ne m’étais jamais autant attachée à un arbre…
  • dire au-revoir à la forêt, sentir une dernière fois les effluves d’eucalyptus, écouter une dernière fois les tuis, emprunter une dernière fois les sentiers traversés par des racines-tentacules, s’écarter une dernière fois de 2m des autres marcheurs ou coureurs ou mountainbikers en lançant Hey’…
  • apprendre que le confinement est prolongé jusqu’à lundi prochain – 3 jours de plus que la date initialement prévue – et qu’il sera suivi de deux semaines au niveau d’alerte 3, un brin moins restrictif
  • dire au-revoir à Wellington, d’en haut
  • se serrer dans les bras
  • faire les clowns pour une photo avec nos ombres et des arbres
  • entamer la descente vers la ville
  • s’arrêter en chemin car il y a des lenticulaires roses dans le ciel : c’est magnifique les lenticulaires, même si ceux ci sont modestes…
  • admirer encore et encore
  • longer la baie, filer vers le centre
  • se demander si un jour, nous reviendrons
  • se dire que nous avons l’intuition que nous ne voyagerons plus de la même manière, après
  • se dire que, peut-être, nous ne reviendrons pas… nous allons rarement deux fois au même endroit, mais là, alors même que nous ne sommes pas encore de retour, nous avons déjà envie ou nous aurions eu envie, c’est sûr
  • sentir que cela nous serre la gorge et nous pique les yeux
  • trouver un carrefour, se mettre en plein milieu et prendre les 4 axes en photo : je fais ça partout où je vais, j’ai une belle petite collection, mais j’ai rarement eu l’occasion de pouvoir me mettre au cœur d’un carrefour de 3 voies de chaque côté…
  • prendre la ville en photo comme si j’allais y être encore demain et après-demain et après-après-demain
  • réaliser que non
  • prendre Coralie en photo, avec son bonnet bleu marine, le long d’un mur de briques rouges éclairé par un néon blanc sur fond de ciel bleu nuit et de feux tricolores orange
  • retourner calmement à l’appartement
  • éditer les photos de Coralie pour qu’elle puisse les poster
  • faire le point sur la 6egénération d’Objectif3280 ; reposter un message ; espérer un réveil en trombe ; saluer les derniers échos ; il ne manquait pas grand chose… 12 échos et elle était pleine, comme l’an passé ; ce n’est pas grave, 231 échos postés par 145 personnes vivant dans 16 pays, c’est déjà fabuleux ! Mais, ce n’est pas encore cette année que nous atteindrons l’objectif 3280. Ceci dit, j’ai toujours pensé que le chemin était plus intéressant, alors tout va bien ! Même mon nom le clame !
  • simultanément, préparer le dîner / répondre à des messages amicaux / refaire des visuels pour le lancement de la 7egénération
  • lancer la G7
  • dîner
  • attendre les premiers échos
  • écrire ce texte
  • finir ce texte
  • choisir la photo
  • poster l’ensemble
  • et faire tout le reste…
  • ah oui, dire « bonne journée les amis et à bientôt de l’autre côté du monde » !

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