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Je ne les retrouvais plus, ces photographies. Enfin, pas celles-ci justement, ou alors, en partie seulement. C’était à une autre époque… Celle où l’argentique était roi, avec ses pellicules et ses délais de livraison. Pas de nostalgie dans ces mots. Simplement, je resitue le contexte. Aujourd’hui, avec le numérique, la notion de pellicule, au-delà de l’objet lui-même, de cette petite bobine à film noir avançant au fur et à mesure que l’on déclenche, est devenue totalement obsolète. Encore que nous pourrions la comparer à la carte photo, dont la capacité est bien plus impressionnante ! Aujourd’hui, si l’on veut faire une photo à 125 ISO et la suivante à 400 ISO avant de revenir à 125 voire passer à 800, il suffit d’aller dans le menu et de choisir sa sensibilité… Simple comme bonjour !
Dans le temps, pas si lointain, ce changement était un peu plus complexe… Il fallait rembobiner la pellicule, laisser la languette dépasser un peu pour pouvoir la réutiliser, bien noter à quelle vue on s’était arrêté sur le métal lui-même, puis installer une autre pellicule dans la boîte à images, faire ses photos et éventuellement, revenir à la première bobine. Cette dernière opération n’était pas sans risque : en réinsérant la pellicule partiellement utilisée dans son habitacle, il fallait en effet tenter de la caler comme la première fois, ne pas oublier de mettre le cache sur l’objectif, veiller à bien compter le nombre de vues déjà faites pour éviter les catastrophes, c’est-à-dire les superpositions indésirables, et déclencher éventuellement une ou deux fois supplémentaire pour plus de sécurité. Malgré toutes les précautions prises et les calculs faits, une surprise était toujours possible…
Il était ainsi tout à fait envisageable que le chiffre noté sur la pellicule, vous indiquant d’une part, qu’elle a déjà été impressionnée, et d’autre part, à quelle vue reprendre, s’efface. La petite bobine en question, pleine d’un passé capturé, retrouvait alors en quelque sorte sa virginité et se fondait dans la masse des pellicules non utilisées. A ce stade, vous ne vous doutiez de rien, même si vous aviez en mémoire ces images prises, que, bizarrement, vous ne retrouviez nulle part. Vous aviez bien ce vague souvenir d’avoir changé de pellicule en cours, mais la bête marquée au bic rouge demeurait introuvable. Peut-être perdue. Fâcheux mais envisageable. Comme il était tout à fait envisageable, à nouveau, que votre main, plongée dans le panier à pellicules en attente de rencontres photoniques, finisse par la saisir et la placer dans cette petite boîte noire convoitée… Un geste totalement innocent, presque naïf. Sauf que les images que vous découvriez n’étaient pas celles que vous espériez. Enfin, d’une certaine manière, si, mais pas de cette façon. La voilà, la pellicule perdue. Les voilà, ces images qui se pressaient à votre mémoire, persuadées d’avoir existé sans pour autant être réellement. Ainsi inextricablement liées à d’autres images, elles n’existeront d’ailleurs jamais pour elles-mêmes. Pour autant, le fruit de cette superposition totalement fortuite d’un ici et d’un ailleurs, est d’une beauté confondante voire troublante… On se perd dans deux univers artificiellement collés l’un à l’autre, prenant vie l’un dans l’autre, créant ainsi une espèce de monde chimérique envoûtant. Comme cette rue pavée, qui, au contact de ce jardin africain, se transforme en muret qu’elle n’est pas. Comme cette main délicatement posée sur un rideau qui se mue pourtant en pelleteuse inquiétante. Comme cette ruelle parisienne qui vient fendre en deux cette bâtisse couleur crème. Comme, enfin, cette silhouette solaire qui semble se reposer sur le feuillage d’un grand arbre poussant horizontalement… Ces images-là, et les autres, je n’aurais jamais pu les imaginer. C’est le hasard qui l’a fait pour moi. Et au final, n’est-ce pas lui, le créateur ?
Avez-vous déjà fait l’expérience d’écouter du brouhaha ? Il est vrai, que d’une manière générale, le brouhaha, on ne fait que l’entendre. On ne peut d’ailleurs faire que ça… Sans gêne, il s’incruste au restaurant, dans les salles de spectacle, les stades, les manifestations, les classes, les cours de récréation. Une sorte de rumeur à laquelle chacun participe inexorablement par le seul fait d’ouvrir la bouche et d’émettre un son. Ce qu’il y a de fascinant lorsque l’on écoute le brouhaha – et donc, que l’on se plonge soi-même dans un silence d’or -, c’est que, comme dans un épais brouillard, les phrases, les mots, les syllabes, les lettres perdent totalement leur identité, leur relief. Et dans la foulée, leur sens. Tout se fond en un magma indistinct de sons et de bruits, constituant, bizarrement, une ambiance sonore uniforme. Seul un éclat de rire, un tintement de couverts sur une assiette, deux verres qui s’entrechoquent, un larsen viennent rompre la monotonie bruyante de cette espèce de langage que personne ne serait en mesure de parler seul, bien que le maîtrisant parfaitement en groupe. Car, dans cette langue légèrement surréaliste, chaque phrase est le fruit de mots prononcés par plusieurs personnes et n’a de sens pour aucun d’entre eux.
Mais est-ce vraiment le plus étonnant ? Que vous soyez à Paris, à New York ou à Rome, cette langue semble résonner de la même manière. Quelle que soit la langue parlée, le brouhaha la dépouille de ses intonations, ses accents, sa musique qui en font son unicité. Quelles que soient les différences, celles-ci sont gommées par la superposition. Superposition, c’est ce mot qui m’est venu à l’esprit lorsque je me suis demandé comment transposer cette expérience sonore en photographie. Superposition d’images donc, n’ayant rien à voir les unes avec les autres, comme les conversations télescopées de différentes tables, donnant un ensemble indéterminé, indéfini, incohérent, improbable, irréel dont on peut, malgré tout, reconnaître certains éléments, des taureaux, des lumières, des arbres, des parasols, des lettres, du ciel, de la terre. Et si l’on continuait à multiplier les couches sur cette esquisse, si l’on réitérait l’expérience avec une autre série d’images, le résultat serait probablement tout aussi universel qu’avec les sons. Ces parties encore discernées s’effaceraient pour se transformer, petit à petit, en des traits puis, des points. Et, alors que les sons continueraient à s’imposer, oppressants, l’image, elle, décomposée, disparaîtrait.
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Share on FacebookSur ces pages virtuelles, je suis souvent partagée entre m’émerveiller de la beauté et de la diversité du monde, de ces petits riens de nos quotidiens qui font parfois l’essentiel dès lors que l’on sait, que l’on peut ou que l’on s’autorise à les saisir au vol, ou bien me désoler de l’évolution du monde […]
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