Je suis toujours étonnée – malgré les récurrences – par les chemins qu’emprunte notre mémoire pour nous faire nous remémorer ce que nous avons parfois oublié ou alors vainement cherché à nous rappeler. Voici un cas typique de ce que l’on pourrait appeler la « mémoire pop up » car elle s’ouvre comme ça, sans prévenir, donc de façon assez soudaine, dans un petit coin certes mais en couleurs, en musique, en scintillant, de telle sorte que l’on ne peut pas l’occulter. Cela n’aurait d’ailleurs aucun intérêt car cette mémoire pop up nous rend un grand service en mettant fin à une quête à durée indéterminée, ce qui, dans ce contexte, n’est pas toujours de bon augure.
Ainsi ce paysage est-il typique des îles Kerguelen, qui compte de nombreuses espèces endémiques du fait de son isolement. Comme ces petits monticules verts parsemant ce sol rocailleux et sur lesquels il ne fallait absolument pas marcher puisque cela entraînait leur mort à coup sûr. Je vous laisse imaginer les zig-zag à concéder face à un tel parterre… Tout ça pour respecter la Nature ! Bref. Après n’avoir connu qu’eux, j’ai donc totalement oublié leur nom. J’ai eu beau sonder mes souvenirs à plusieurs reprises, rien ne venait. Il aurait certainement suffi de quelques minutes de surf pour trouver la réponse, mais cet oubli n’a jamais constitué ni une angoisse ni une urgence.
Et voilà que ce soir, en discutant avec quelques photos pour statuer sur mon choix nocturne, je tombe sur celle-ci. J’avais au préalable l’idée d’écrire sur ces endroits, rares pour les urbains, où l’on pouvait aisément penser que l’on était sûrement les premiers à les parcourir. Avec une image des îles de la Désolation, le risque d’erreur était faible. Sauf qu’en découvrant la photographie et en posant mes yeux sur ces tas de mousse verte, le mot « azorelle » m’a sauté à l’esprit telle une formule magique qui allait m’ouvrir mille portes. Azorelle, ce mot que j’avais complètement oublié, qui revenait comme ça, totalement naturellement, comme si je l’avais employé la veille, au seul contact de mes yeux avec elles…
Les rochers posés sur le sol sont les nuages flottant dans le ciel : regarder les uns ou les autres nous transporte dans des univers parallèles où l’impossible change de camp. On y voit ce qui n’existe pas. Un nuage en forme de cheval, de point d’interrogation ou encore de cosmonaute… On y projette ce que l’on veut y voir. Comme là, sur cette plage désertée par l’eau en goguette. Deux rochers isolés, côte à côte. En fait, deux têtes de colosses recouvertes d’algues et colonisées par des moules du 21e siècle, seuls vestiges d’une cité engloutie en 1654 suite à un important glissement de terrain. Comme deux témoins du temps qui passe. En grattant un peu sous ces crânes verdoyants dont on distingue clairement les mâchoires, il ne fait aucun doute que nous buterions rapidement sur un cou, une omoplate et en creusant un peu plus encore, sur un torse puis des jambes et des pieds… Là, juste en dessous, à la fois préservés par le sable mais attaqués par les milliers d’organismes et micro-organismes qui y vivent, nos deux colosses sont entiers. Prêts à être exhumés pour jouer à nouveau leur rôle de vigie salutaire…
Dans certaines circonstances, il serait opportun de pouvoir exporter les outils bienfaiteurs des logiciels de retouche d’images dans le monde réel. Première étape et loin d’être la plus facile : vous sélectionner. Un petit coup de baguette magique, avec une tolérance élevée histoire de ne pas vous séparer d’un bout de bras ou de tête. Deuxième étape : choisir l’outil susceptible de répondre à votre besoin du moment. Le couper/coller servirait par exemple à concrétiser tout rêve de téléportation : vous marchez péniblement sous une pluie verglaçante, vous êtes fatigué car cela dure depuis six jours ; qu’à cela ne tienne, un couper/coller et vous voilà en tenue d’hiver sur une plage de sable fin aux antipodes ! Bien entendu, il ne faut pas oublier de vous coller, sans cela, vous risquez de vous retrouver dans un univers parallèle avec risque de disparition irrévocable, et ce n’est pas ce que vous souhaitez.
Le copier/coller serait très utile pour échapper aux réunions sans fin et soporifiques : avant d’entrer dans la salle de torture, un petit copier/coller derrière la porte et vous envoyez votre copie en réunion, pendant que vous allez faire un tour ailleurs. Attention, là aussi, le danger existe : ne pas trop abuser des copies pour ne pas avoir à vous demander si vous n’en êtes pas une vous-même. N’hésitez donc pas à renommer et tatouer votre/vos double/s correctement : copie de moi 1, copie de moi 2, copie de moi 3… Un recadrage ? Parfait pour sortir de votre champ les parasites un peu trop insistants ! Ne pas trop serrer malgré tout, vous vous sentiriez rapidement à l’étroit. Enfin, il y a la gomme. Ah, la gomme… C’est l’outil que j’aurais volontiers utilisé en arrivant en cet endroit magnifique, totalement saboté par ce parking immonde, un pléonasme. Car, non, contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’un montage de mauvais goût… Quelle mouche les a piqués lorsqu’ils se sont penchés sur le plan d’urbanisme de cette énigmatique petite station balnéaire ? « Tiens, on va mettre un parking devant le rocher ! Comme ça, si les gens marchent le long de la plage sur des kilomètres, ils sauront toujours où est garée leur voiture ! Pratique, non ? » Je ne vois que ça…
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Share on FacebookLes journées sont courtes, le froid est sec mais le soleil est là. Et la lumière, intense, réussit à trouver son chemin dans ce monde aux contrastes exacerbés donnant une aura instantanée à ceux qui la traversent. Ainsi en est-il de ce vieux chauffeur de taxi au volant de son inoxydable Toyota Crown qu’il conduit […]
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