Un déménagement est le moment idéal pour réellement faire un tri dans ses affaires. Plier, emballer, encartonner, ranger, empiler… Personne n’aime vraiment ça. Car, après plusieurs années de vie entre les mêmes murs, ce nouveau départ vous fait réaliser à quel point vous avez pu entasser d’inutiles petits objets. Vous savez, ces revues que vous n’avez pas eu le temps de lire au moment où vous les avez reçues, que vous avez soigneusement posées sur une table basse en reportant leur découverte à un moment ultérieur, quoique indéfini. Petit apparté : en réalité, ce moment de répit n’arrive jamais. Il serait donc objectivement plus judicieux d’envoyer ces feuilles de chou au recyclage, au moins serviraient-elles à quelque chose. Sauf, qu’évidemment, en s’en séparant sans les avoir compulsées, vous avez la désagréable sensation de jeter votre argent par la fenêtre, de perdre le combat contre l’horloge infatigable et de manquer quelque chose : il y avait quand même des articles intéressants dans ces numéros.
Cette indécision argumentée vous pousse à les placer dans un coin, puis, finalement, à les oublier… jusqu’à ce qu’un déménagement vous conduise donc à faire réapparaître tout ce que vous avez voulu cacher et à vous reposer la question de leur destinée… Même type de raisonnement avec les vêtements que vous avez accumulés année après année en vous disant que la mode était cyclique et qu’un jour, votre pantalon à petits carreaux serait autour de toutes les jambes ; ou des bibelots dont vous avez couvert vos étagères à une époque où vous étiez adepte du plein et de ces objets attrape-poussières, alors qu’aujourd’hui, vous préférez nettement le vide, notamment car vous n’avez plus le temps de faire la poussière. Bref, les exemples ne manquent pas et chacun a ses petits tas dans un coin de chez lui.
Malheureusement, nombreux sont les déménagements qui s’organisent au dernier moment, même s’il est difficile de parler « d’organisation » dans ce cas. Dans l’urgence, vous n’avez alors plus le temps de trier et vous vous retrouvez à tout empaqueter par défaut, en sachant que ces petites choses mises à l’écart seront tout autant abandonnées à leur triste sort dans votre nouveau chez-vous. Voilà comment, faute de trancher impitoyablement à un moment précis, vous vous chargez de l’inutile à vie.
C’est un peu comme avec ces duos. Je constitue des dossiers hebdomadaires dans lesquels je glisse les photos sur lesquelles j’aimerais m’étendre. Le jour dit, en fonction de l’humeur, je pioche dans la masse ou pars en quête d’une autre image à raconter. En fin de semaine, je bascule alors toutes les photos non utilisées dans le dossier de la semaine à venir. Certaines photos n’y transitent que quelques heures, quelques jours ; d’autres y restent des semaines voire des mois. Or, dans le dossier du 21 novembre, nombreuses sont les photographies à migrer ainsi en attendant des jours meilleurs pour elles, autrement dit, une certaine inspiration. Et comme avec les monticules de revues faussement rangées sous les meubles, arrive parfois l’heure où l’on se lasse de voir chaque jour la même chose, le même bazar… Moment décisif à saisir et à transformer en acte concret. Bref, il est grand temps de déménager ! Ces images, collées les unes aux autres dans un joyeux n’importe-quoi décontextualisé, sont donc les orphelines du 21 novembre. A voir comme des instantanés auxquels j’ai tenté de donner un écho à un moment et qui ont fini par en trouver un à quelques encablures de l’instant ultime : l’oubli.
Nous nous sommes rencontrés sur un quai de métro. Un matin comme un autre, sur la route du labeur. Rien de bien original donc. Cela a commencé comme ça. Spontanément, il s’est ouvert à moi et ça m’a touchée… Je n’ai pas vu ce temps souterrain passer et lorsque je suis arrivée à ma destination finale, que j’ai dû descendre et donc lui dire au revoir, j’ai eu beaucoup de mal à me focaliser sur autre chose. Heureusement, ayant exactement les mêmes horaires, nous nous sommes donné rendez-vous au même endroit le lendemain matin. Je n’irai pas jusqu’à écrire que j’ai attendu ce moment pendant tout le reste de ma journée, mais je mentirais aussi à ne pas avouer que j’ai pensé à ce qui allait pouvoir advenir ensuite…
C’est donc avec une excitation de jeune fille que j’ai débarqué, le matin suivant, sur ce même quai, pleine d’espoir pour cette relation naissante, et la tête fourmillant de questions. Quels allaient être ses mots aujourd’hui, quelles histoires allait-il me raconter une fois qu’il aurait achevé celle d’hier ? Cette fois encore, ce trajet jadis ennuyeux s’était mu en une subtile et merveilleuse parenthèse. Après quelques secondes, je naviguais dans un autre monde dont je ne connaissais pas les codes. Et plus il se livrait, plus j’avais envie d’en savoir plus, plus les séparations, inévitables, étaient douloureuses. En pensée, nous passions nos journées ensemble. J’ai bien tenté d’entrer en contact avec lui à d’autres moments de la journée, le soir par exemple, mais c’était difficile. Je n’en suis pas spécialement fière, mais autant le dire simplement, c’est une relation cachée chacun d’entre nous ayant sa propre vie.
Evidemment, tout cela est bien frustrant et j’ai souvent rêvé de manquer ma station ou de sécher le travail pour pouvoir prolonger ces instants délicieux. Mais je n’oublie jamais ma station. Quant à me déclarer malade, ce n’est pas mon genre. Je me contente donc de ces interludes matinaux que j’attends avec une indicible impatience. Je suis bien consciente que cette histoire ne pourra durer ainsi éternellement et que ce bonheur volé au temps et à la morosité ambiante disparaîtra aussi vite qu’il est apparu, qu’ainsi dire, il faudra tourner la page. Heureusement, il m’en reste un certain nombre à lire. Et surtout, j’ai un autre tome.
Je ne résiste pas à cette nouvelle confrontation, certes un peu grossière, des mœurs entre ces deux terres qui bornent les parties nord de l’Océan Atlantique. A l’heure où l’on parle à l’envi de manipulation des foules par la peur (une stratégie plutôt ancienne en réalité), la juxtaposition totalement anachronique de ces trois images peut laisser songeur. Direction Boston. Ville bourgeoise et calme, dont la réputation est en partie assurée par ses universités prestigieuses, Harvard et le MIT en tête. C’est à cette paisible cité qu’appartient l’abribus. « Ready for a disaster ? » Curieuse approche pour une publicité ? Une assurance peut-être ? Trois pictos assez explicites, des légendes courtes aux allures d’injonction et une adresse de site internet, très simple mais surtout gouvernementale. Il ne s’agit pas d’une publicité comme une autre, mais d’une sorte d’appel à la population générale pour l’encourager à se préparer au désastre… Dans une ville paisible donc. Toutefois, c’est souvent là où il ne se passe rien que l’on aimerait faire croire qu’il pourrait se passer des choses.
L’affaire resterait sans suite si cette annonce ne bénéficiait pas d’un plan de communication digne d’une boisson gazeuse à quatre syllabes. L’affiche, des plus sobres donc efficace, est partout, faisant presque croire à l’imminence du désastre annoncé. Pourtant, un petit tour sur le dit site nous apprendra que cette campagne existe depuis 2003, comme c’est étrange. On y apprendra aussi à se constituer un kit de réserves d’urgence, à préparer un plan familial d’urgence et à se tenir informé sur ce qu’est une urgence… Les plus angoissés pourront répondre à un quiz pour connaître leur Quotient de préparation. Mais de préparation à quoi ? Une liste des désastres potentiels – une petite vingtaine – figure évidemment sur le site, parmi lesquels les menaces biologiques, chimiques, les pannes d’électricité, les ouragans, les pandémies de grippe, les menaces nucléaires, les ouragans… Je ne trouve pas le mot « terrorisme » mais il est caméléon et vit sous d’autres noms. Car, c’est évidemment de cela dont il s’agit. Bon, il y a aussi les tremblements de terre.
Ce qui pourrait expliquer l’existence de l’affiche rose. Direction la côte Ouest et la non moins intellectuelle ville de Berkeley. On est en Californie, il fait beau mais on a la tête bien pleine. Zone pavillonnaire, et cette affiche rose donc. Bien plus petite que les affiches du gouvernement, mais du rose, ça attire l’œil à 10 mètres. L’idée ? Des réunions de quartiers pour se préparer collectivement à des séismes effectivement, mais pas uniquement. A des désastres, aussi. Un appel au bénévolat pour faire partie de la super équipe de réponse d’urgence… Face à ces deux discours, le réflexe un peu trivial a été de penser : « oh my god, it is so american !« . Cette façon de se préparer méticuleusement à la guerre même quand il n’y a pas d’ennemi. Evidemment, un peu de prévention ne fait pas de mal, et même plutôt le contraire. Et ce n’est pas avec nos sirènes de pompier qui sonnent tous les mercredis du mois que nous pouvons affirmer que nous sommes préparés au désastre. Mais, de toute manière, en France, on a réglé la question autrement : avec des affiches qui nous exhortent à ne pas avoir peur. Et s’il n’y a aucune raison d’avoir peur, il devient inutile de se préparer à ce qui pourrait faire peur… Et, là, il faut l’avouer, ce « N’ayez pas peur » fait finalement plus peur que le « Ayez peur » subliminal des Américains !
… à tous ceux qui visitent régulièrement ce site, qui regardent avec plaisir les photographies, remontant parfois le temps assez loin, tout en avouant ne pas avoir toujours l’opportunité, la liberté, le loisir, le temps à nouveau, de vraiment lire les textes, qu’ils parcourent, malgré tout, « en diagonale »…
Errance nocturne dans une ville inconnue. Chaque pas est une découverte. Boîte enregistreuse sur « on ». Il fait frais, mais l’air est serein, posé. Anémomètre à zéro. Au plus, une brise légère. Pour faire passer le temps. Délicatement balayer la nuit et amener le jour. Une tour tronquée. Un bassin réfléchissant. Des silhouettes bien avisées. Des reflets à peine trompeurs. Des phares bien dispersés. Et là, au milieu, comme le nez l’est sur la figure, un petit détail. Un horizon penché. A peine 6°. Suffisant pour faire couler l’eau du bassin hors de ses frontières et créer une légère impression de fuite à son abord…
Trois cimetières, deux incarnations de la mort, un océan entre les deux. Un monde même. Les cimetières font, étrangement, partie des lieux que je visite systématiquement dans une ville où j’ai le temps de rester plus de deux jours. Il y a quelques années, j’avais même un rendez-vous hebdomadaire avec celui du Père-Lachaise à Paris. Rien de morbide pour autant, l’idée était de suivre l’évolution, sur une révolution de notre bonne vieille Terre fertile, de quelques arbres remarquables qui y avaient grandi en paix. Si feuillus en été que l’on arrive sans peine à oublier que l’on erre entre les défunts. L’hiver redonne alors au lieu sa réalité, pas nécessairement mélancolique ou triste, sa fonction, de rassemblement des morts.
Paradoxalement, je trouve que ce sont des sites plein de vie. D’une certaine forme de vie, certes. Les fleurs, aux couleurs vives qui nous font penser que l’instant final n’est pas très loin, ou au contraire fanées, ce qui nous incite à croire que la tombe n’a pas reçu de visite depuis un certain temps ; les arbres qui bourgeonnent, s’ouvrent au monde, vibrent, puis perdent leurs feuilles avant de prendre leur pause, caduques ; les tombes qui se fissurent, se couvrent de mousse, de lichen ; les médaillons représentant ceux qui y reposent qui palissent ; les gravillons qui sont traînés d’allées en allées par les pas des promeneurs… Dans la vieille Europe, comme dans ce beau cimetière maltais, une vie à l’abri des regards des vivants, cachée derrière de hauts et épais murs, séparée du reste du monde par d’imposantes grilles ou portes. Une forteresse. Comme si l’on ne voulait pas avoir sous les yeux ce qui nous attend tous, sans exception. Comme si, ne pas voir, pouvait l’éloigner. De ce côté de l’Atlantique, a priori, changement total de perception. Les cimetières s’offrent au monde, à leur regard, à leurs corps aussi. Sans tabou. Sans malaise. Quelle surprise la première fois que j’ai vu des gens assis sur des tombes comme s’ils étaient sur un banal banc public… Des lieux aussi au cœur des villes (c’est historique j’imagine, comme ce vieux cimetière new-yorkais préservé alors que tout a changé autour de lui), dont ils font surtout partie. Comme un élément parmi les autres, et non en dehors. Sur les pierres tombales, des squelettes creusés comme ici à Boston. Représentation on ne peut plus directe et crue de la mort, que je n’ai pas le souvenir d’avoir rencontré ailleurs. Est-ce une question de respect de ceux qui ne sont plus ? Je ne le crois pas. Au contraire même. D’image que l’on se fait de la mort alors, qui reste tragique où que l’on soit. Probablement, mais là, cela nécessite de… creuser.
Outre atlantique, ces fenêtres sont appelées des french windows. J’ai une fois trouvé un immeuble à Paris avec des fenêtres s’ouvrant vers l’extérieur, mais c’était le trésor du jour, de la semaine, du mois, de l’année. Outre atlantique, les pains perdus sont appelés des french toast. C’est déroutant la première fois, mais Lost breads ne […]
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Share on FacebookJ’adorerais, chaque matin, pouvoir attendre mon bus en me posant, comme ce monsieur en chemisette jaune, sous les branches sculpturales de cet arbre gigantesque qui continue à se déployer malgré les troncatures régulières que lui infligent les hommes qui sont pourtant arrivés après lui… Ceci dit, si je pouvais effectivement patienter sous cet arbre, je […]
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