Photo-graphies et un peu plus…

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Des tunnels, nous en avons tous traversés, même s’il n’est pas question ici de tunnels au sens où nous l’entendons classiquement, à savoir, ces constructions architecturales relativement complexes permettant de passer de l’autre côté d’un obstacle – une mer, une montagne, une zone habitée… – non pas en le contournant mais en allant droit devant. Dans tous les cas, le dispositif est identique : une bouche dans laquelle on s’engouffre sans avoir la capacité de voir ce qu’il y a à côté, au-dessus, autour avant de s’en extraire. Ce tunnel-là nous fait passer d’un point A à un point B de façon assez pratique puisque, allant au plus court, il fait gagner du temps.

Le tunnel auquel je fais écho joue aussi avec le temps, mais de façon plus radicale, voire plus perverse. Vous savez, c’est celui qui peut vous faire lâcher : « Depuis que je suis rentré(e) de vacances, je n’ai pas vu le temps passer, je n’ai rien pu faire d’autre que gérer le quotidien. Je sors à peine du tunnel ! » Autrement dit, vous êtes passé d’un temps A à un temps B sans avoir pleinement conscience du délai qui s’est écoulé entre ces deux dates, ni la main sur ce que vous avez fait. Et pour cause : pendant cet intervalle, vous avez foncé tête baissée, enchaînant, l’une après l’autre, les tâches qui vous incombaient. Le hic avec le tunnel, c’est que vous ne connaissez que trop rarement sa longueur, même si, parfois, il vous arrive d’apercevoir la lumière vous attendant patiemment au bout. Mais le tunnel est malin, car à géométrie variable. Parfois, alors même que vous abordez la dernière ligne droite, que la lumière se fait de plus en plus vive et l’air plus frais, la paroi s’ouvre, vous entraînant immanquablement dans un nouveau tunnel, dont, malheureusement, vous ne voyez pas la fin. Vous n’avez même pas eu l’occasion de relever la tête que c’est reparti pour un tour ! Pas facile de vivre dans un tunnel. C’est étroit, souvent sombre, sans réelle perspective ni choix. On y respire mal, on s’y abîme les yeux, on s’y fatigue, on s’y perd, et enfin, on s’y sent seul, piégé. Et lorsque, enfin, vous réussissez à vous en extraire – non sans mal, vous l’avez compris -, que vous reprenez quelques couleurs et renouez le contact avec ceux que vous avez laissés de côté la durée de votre traversée du tunnel, on vous répond : « Désolé, je suis en plein tunnel ! » C’est le problème, les sorties des tunnels ne sont pas toujours coordonnées…

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Tout était pourtant extrêmement bien préparé… J’avais les bonnes chaussures, les bonnes chaussettes aussi – c’est important quand on s’apprête à marcher 5 heures – ; j’avais prévu le pique-nique à mi-parcours sur la plage à mâter les surfers défiant, non pas des vagues géantes, mais les basses températures du Pacifique nord ; j’avais aussi la bouteille d’eau additionnelle pour les petites soifs pendant la rando qui comptait quelques belles montées et d’aussi belles descentes ; j’avais des barres de céréales revigorantes à dévorer à l’arrivée pour repartir du bon pied et la certitude que ma batterie serait encore pleine à ce moment, car le point de vue d’en haut se devait d’être splendide. Enfin, c’est pour cette promesse de beauté que je m’étais engagée sur ce chemin serpentant entre vues plongeantes sur un océan bleu intense, à quelques dizaines de mètres en contrebas, brillant de mille éclats, à l’immensité aussi subjuguante qu’irréelle et forêt pluviale sombre où les rais forts du soleil arrivaient toutefois à se frayer subtilement un passage, éclairant intensément fougères ou autres plantes vertes tapissant un sol idéalement meuble pour la colonne, vertébrale, comme la poursuite, l’auteur d’un one man show sur une scène de théâtre.

Le dernier kilomètre se faisait d’ailleurs sous cette chape un brin humide, maintenant, jusqu’au bout, le plus grand secret sur l’horizon. Cet horizon même où il devait se détacher. Ce petit phare en avant poste sur un rocher à quelques encablures de la côte. Une curiosité dans cette région. L’objectif de cette marche. Plus que quelques mètres, satisfaction, le chemin s’ouvrait sur le bleu de l’océan, palpitations, et à l’horizon, point de phare mais une bande de brume épaisse ne laissant rien deviner de ce qui se tramait derrière. Il était là pourtant, je le cherchais du regard, scrutais la cime des arbres en espérant une rafale qui balayerait toute cette ouate, je croquais une barre de céréales pour lui donner le temps de filer, vidais ma bouteille, piétinais, faisais même quelques étirements, et comme si je n’étais pas là pour ça, mais rien. Rien ne s’était passé. Le brouillard s’était installé et le phare ne s’était pas montré. Il ne me restait plus qu’une chose à faire, demi tour. A ruminer cette ironique déconvenue, cette rencontre avortée. Ce pied de nez météorologique, ce contretemps, ce temps contre moi, pire, qui se joue de moi : arrivée en bas, la brume s’était dissipée et le phare, des plus classiques, s’était dévoilé…  Prouvant, une nouvelle fois, qu’il est important d’apprendre à vivre avec cette idée que le point que l’on atteindra à l’issue du chemin ne sera pas forcément celui que l’on attendait, ou espérait, malgré les jalons, malgré les efforts, malgré les certitudes. Et ainsi d’apprendre à vivre sur le chemin et à l’apprécier tel qu’il est. Car, en toute honnêteté, elle est plutôt belle cette vue tri-bandes et même plus énigmatique et originale que celle que j’étais venue voir.

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Cela faisait bien 1h30 qu’on roulait… L’atmosphère dans le bus s’était un peu calmée, la fatigue matinale aidant, mais il y en avait toujours trois ou quatre qui relançaient les hostilités à un moment ou un autre, et qui finissaient par contaminer tout le monde, au grand dam des monos. Ils devaient bien se marrer, intérieurement. On sentait qu’on s’approchait du but de l’excursion, la forêt devenant de plus en plus touffue. Il n’y avait personne d’autre sur la route. Que nous. Une petite quarantaine d’enfants excités, un jeudi de vacances en centre aéré. Le chauffeur avait enfin ralenti, jusqu’à s’arrêter. Mais pas sur un parking, sur la route elle-même. Un barrage. Il y avait un barrage devant. Des personnes bloquaient la route. Des fumigènes. La marmaille que nous étions s’était tue sur le champ. Le bus avait dû se garer et les monos nous avaient fait descendre. Comme ça. Il y avait un peu d’agitation dehors. D’autres cars étaient parqués, à proximité. D’autres enfants attendaient aussi, dans un silence auquel ils n’avaient habitué personne. On sentait bien que quelque chose d’anormal se tramait.

Dans la forêt, là-bas. Une lumière d’une rare intensité passait à travers les troncs, les branches, les feuilles. Comme pour nous aveugler. Des volutes de fumée enveloppaient la zone vers laquelle nous nous dirigions, mi amusés mi effrayés. Il y avait quelque chose. Quelque chose de grand. Quelque chose que nous ne connaissions pas. Le bois sec et les feuilles mortes craquaient sous nos pieds, des cris d’enfants rebondissaient d’arbre en arbre. Et toujours cette lumière. Blanche. Au fond. Comme un guide. Un aimant. Plus nous nous approchions, plus il y avait de fumée, au cœur de laquelle nous distinguions une forme à laquelle nous ne voulions croire. Une soucoupe. Volante. Posée sur l’humus. De quatre, cinq mètres de diamètre. Avec de petits hublots. Une antenne. Et dans cette brume artificielle, marchant d’un pas lourd, d’étranges silhouettes casquées… Qu’on voulait faire passer pour des extraterrestres. Des extraterrestres, rien que pour nous. Pour notre sortie du jeudi. A quel instant avions-nous compris cette géniale supercherie fomentée par nos animateurs associés à ceux d’écoles voisines ? A quel instant notre cœur d’enfant crédule avait-il repris son rythme normal pour profiter de l’univers extra-ordinaire dans lequel il avait été plongé sans ménagement ? Et à quel point mon âme d’adulte a-t-elle transformé cette histoire dans sa mémoire pour la rendre encore plus incroyable ?

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Ou bien l’instant magique… Ce moment où, venant de la lumière, nous nous trouvons subitement plongé dans une toute nouvelle obscurité, perdant instantanément nos repères, et découvrant cette étrange sensation d’être cerné par le néant, et où, petit à petit, nos pupilles se dilatent, apprivoisent la pénombre, captent le peu de photons qui circulent dans l’atmosphère et font, seconde après seconde, apparaître les éléments constituants du monde dans lequel nous avons été projeté. Les formes se dessinent grossièrement – une masse sombre menaçante de prime abord -, leurs noms se laissent deviner – un palmier dansant dans le vent -, un subtil et nouvel univers prend vie autour de nous. Et bientôt, de façon assez surprenante, nous réussissons à nous y mouvoir comme s’il y faisait jour…

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Qu’il est désagréable de prendre conscience de sa légère dépendance aux couleurs des diodes d’une boite en plastique dur nous reliant, à sa manière, au reste du monde. Vert foncé, ça marche. Vert clair, ça cherche… Réseau ? Réseau ? Où es-tu ?

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Le trottoir est étroit, ils ne se connaissent pas, il a une sacoche en bandoulière et le regard vitreux, elle, l’âme curieuse et une sardine dotée d’un flash. La combinaison attire l’attention voire la tension. Il s’approche, elle apprivoise une autre boîte à images, il parle, elle le remarque enfin. Ce n’est pas ce qu’il dit vraiment, mais il lui dit en substance, tel un théorème mathématique en guise de bonjour, que, si elle n’a pas de pare-soleil – ce qui est le cas -, alors elle n’est pas une vraie photographe. CQFD. La potence est là, voici la corde ! Non mais, de quel droit se permet-il, ce zouave du mercredi, d’asséner de telles âneries avec une telle arrogance ?

Je n’écris pas cela car je n’utilise jamais de pare-soleil – j’adore pointer volontairement l’astre brillant et découvrir mes images zébrées par des tâches colorées organisées en guirlandes de lumière – mais simplement parce qu’il y a des millions voire des milliards de façons de faire de la photographie, et que je vois difficilement comment on peut se prétendre preneur d’images en s’imposant des règles aussi réductrices pour retranscrire le monde, qui plus est, dans ses atours les plus festifs. Malheureusement, le donneur de leçons, si doué soit-il dans son art, a souvent bien peu de … flair !

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