Au départ, en prenant cette photo, il y a une envie : celle d’écrire sur le succès à la fois enthousiasmant et enrageant des manifestations artistiques publiques et en plein air, à l’instar de la Fête de la Musique, des Journées du Patrimoine, ou, comme ici, de la Nuit Blanche à Paris. Ceci est donc la Rue des Francs Bourgeois. Noire de monde. Pas 1 mètre carré de libre. On y joue des coudes, on se faufile, on se hisse, on se laisse porter, pire, on est emporté, on y hallucine, on se marre, on s’y énerve… C’est quand même un comble de se retrouver bloqué, de cette façon, dans ces circonstances, à cette heure tardive de la journée. Face à ce paysage à horizon bouché, l’arrivée de ce landau, vide, tenu à bout de bras, fendant l’air et la foule, ferait presque office de performance artistique improvisée, à défaut de pouvoir accéder à ce qui se passe dans l’antre violacé…
Mais, ça, c’était au départ. L’arrivée, c’était ce matin, à une station de métro. Une jeune femme est devant moi, en haut d’un escalier de 27 marches, avec un landau. Chargé cette fois-ci de ce qu’il y a habituellement au creux. Un bébé, bien arnaché, en prévision d’imminentes secousses. Quelques braves gars bien bâtis autour d’elle. Oh, pas des centaines, mais bien 5 ou 6. Et pourtant, pas un seul ne lui propose son aide pour lui faire passer cet obstacle en cascade. A vrai dire, elle ne l’espère même pas et descend seule les marches qui la séparent du quai. Tout d’un coup, l’image du landau flottant, l’air de rien, au-dessus d’un magma humain imperturbable et embourbé dans son aveuglement, me saute aux yeux, comme un écho malheureux…
Ou bien l’instant magique… Ce moment où, venant de la lumière, nous nous trouvons subitement plongé dans une toute nouvelle obscurité, perdant instantanément nos repères, et découvrant cette étrange sensation d’être cerné par le néant, et où, petit à petit, nos pupilles se dilatent, apprivoisent la pénombre, captent le peu de photons qui circulent dans l’atmosphère et font, seconde après seconde, apparaître les éléments constituants du monde dans lequel nous avons été projeté. Les formes se dessinent grossièrement – une masse sombre menaçante de prime abord -, leurs noms se laissent deviner – un palmier dansant dans le vent -, un subtil et nouvel univers prend vie autour de nous. Et bientôt, de façon assez surprenante, nous réussissons à nous y mouvoir comme s’il y faisait jour…
S’arrêter, se coucher sur la terre ferme, ouvrir grands oreilles et yeux et lâcher prise. Regarder devant soi, admirer la majestueuse danse des arbres aux sommets, écouter le vent se faufiler dans leurs feuilles, voir les rais du soleil jouer à cache cache avec leurs troncs, entendre leur bois sec plier sous l’effort… Etre, là. […]
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