Photo-graphies et un peu plus…

Bien, après cette trêve verbale, reprenons le chemin tracé par les mots… A l’étranger, ce sur quoi nous nous arrêtons en premier sont les différences flagrantes avec nos propres us et coutumes. Manger dehors comme on dit, au restaurant donc, fait ainsi partie de ces premiers moments révélateurs des tendances locales… Laissons-nous donc aller à un petit compar-hâtif France/USA-Canada/Japon et asseyons-nous à une table d’un restaurant « classique », c’est-à-dire ni trop bon marché, ni trop cher, extrêmes qui pourraient avoir une incidence sur l’attitude des serveurs(euses). Car c’est de celle-ci dont il va s’agir à partir de maintenant. Lorsqu’un Français s’installe à une table nord-américaine, il ne peut être qu’heureusement étonné de la gentillesse avec laquelle on s’occupe de lui. Etonné car il a généralement des a priori négatifs sur les A-mé-ri-cains. Que celui-ci soit en mesure de s’étonner laisse aussi supposer que, chez lui, cela ne se passe pas exactement comme ça… Là où le (la) serveur(euse) nord-américain(e) vient lui demander toutes les 7’32 » si tout se passe bien (sans envisager pour autant qu’il puisse lui répondre négativement), ou lui remplir son verre d’eau glacée dès qu’il a bu une gorgée (un principe de base : toujours avoir la coupe pleine), le français (parisien pour ne pas faire trop de généralités) mettra un certain temps à l’accueillir sur le pas de la porte, puis à lui apporter le menu… Il faudra savoir capter son regard malgré ses œillères naturelles et le regarder plusieurs fois de façon insistante pour qu’il vienne lui prendre sa commande. Parfois, il se trompera dans l’attribution des plats à la tablée et il oubliera certainement d’apporter une nouvelle carafe d’eau même après la troisième sollicitation… Pour justifier cette approche un peu rustre, l’on se dira que le service – fixe – est compris dans le prix en hexagone. Ce qui n’est pas le cas outre-atlantique où, selon le service rendu, le client peut laisser entre 10 et 25% de la note au serveur (ou serveuse, mais vous avez compris). Somme qui constitue par ailleurs la majeure partie de leur salaire. Autant dire que la gentillesse et la prévenance – même si elles sont très agréables – ne sont ni gratuites ni désintéressés. D’où, parfois, le sentiment d’une certaine fausseté ou hypocrisie face à tant de sollicitude. Dernière remarque – vous savez bien, cette façon de réussir à tout critiquer et à se méfier de tout – typiquement française à mon sens donc, à prendre avec des pincettes.

Changement de continent. Changement de mœurs. D’abord, quand vous vous approchez d’un restaurant japonais – pas celui qui fait des brochettes à côté de votre ciné préféré, un vrai restaurant japonais au Japon – on vous remercie une première fois tout en vous souhaitant la bienvenue. En chœur, ça sonne mieux. Pour l’entrée discrète, c’est raté. Ensuite, on vous remercie d’avoir attendu à peine deux minutes que l’on vous place, puis à nouveau lorsque l’on vous donne ces serviettes chaudes et humides pour enlever toutes ces petites bactéries et microbes qui ont colonisé vos mains depuis la dernière fois où vous les avez plongées sous l’eau… Courbette comprise, on vous remercie ensuite quand on vous donne le menu, et quand on vous prend la commande, et quand on vous rapporte vos plats, et quand on vous amène du thé… Evidemment, lorsque vous vous levez pour aller payer, ceux qui ne vous ont pas servis, vous remercient aussi. Ainsi que la personne à qui vous réglez l’addition, qui est parfois celle qui vous raccompagne à la porte, vous l’ouvre et vous lance, à tue-tête et avec un enthousiasme sincère qui donnerait 30 minutes d’énergie pure à tout neurasthénique : arigato gozaimashita !

Vous imaginez un garçon de café parisien ou une serveuse vous ouvrir la porte et vous lancer « Merci beaucoup d’être venu ! » ? Tout le monde se retournerait, se disant, au mieux qu’il en fait un peu trop, au pire, qu’il est probablement un peu simplet et que c’est une bonne action qu’a faite le gérant en l’embauchant… Enfin, on n’y croirait pas une seconde ! Ce qui est bien dommage… La question que je lis sur toutes les lèvres que je ne vois pas à travers cet écran ? Et le service alors, compris ou pas ? Et bien, rien, nichts, nada, zéro. Non seulement le service est compris dans la note, pas majorée pour autant, mais en plus, on ne doit pas laisser de pourboire au Japon, même au sens où nous l’entendons en France. On vous sert avec déférence et respect car c’est ainsi que cela se passe et pas autrement. C’est étonnant et aussi intimidant il faut l’avouer… Que faire, en effet, de tous ces remerciements ? Cette extrême politesse cache forcément quelque chose, non ?

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Cela s’est passé en deux temps. La première fois, je ne m’attendais absolument pas à ce que j’allais découvrir dans cette seconde antichambre à la fois sombre et brillante de l’exposition consacrée à l’artiste japonaise Yayoi Kusama, la Dame à pois. Comme dans toute expo à succès, je suivais patiemment le fil des visiteurs, en accordant aux œuvres le temps que mes suiveurs me laissaient. Mais, arrivée dans cet antre physiquement réduit et pourtant aux dimensions virtuelles infinies, mon panurgisme a perdu sa laine et je suis restée là, comme une gamine, à admirer la symphonie lumineuse qui se jouait dans cette boite à musique intérieure aux cloisons – murs, plafond, eau pour le sol – parées de miroirs et où les hommes n’étaient plus que les ombres d’eux-mêmes. Respectant scrupuleusement les consignes de l’exposition interdisant toute photographie, j’avais soigneusement laissé mon filet à images dans son étui tout en enviant ceux qui avaient été moins regardant avec la rigueur locale.

En m’extrayant difficilement du rêve au bout de quelques minutes, j’avais déjà décidé de revenir. D’autant que, visiblement, cette pièce échappait au credo du « no picture please ». Sans pied, difficile, en effet, de rendre justice à la beauté épileptique de cette installation addictive aux humeurs changeantes et à sa douce folie totalement contagieuse… Car, après avoir maladroitement tenté de capter les points un à un et par milliers, impossible de ne pas se laisser emporter et porter par le mouvement et la dynamique que cette Infinity roomsFireflies on the waterinsuffle…

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Toujours au cours de cette fameuse balade portuaire… Une nouvelle espèce de denrées – faut-il le préciser, de luxe – a fait son apparition à fond de cale : des petites formes ouatées, généralement blanches, qui, au naturel, se baladent nonchalamment dans le ciel comme si elles y étaient chez elles et s’effilochent en quelques minutes, voire quelques heures pour les plus résistantes. C’est là que réside toute la difficulté de l’opération, et, en même temps, tout l’intérêt pour les manœuvres de tripodes les plus agiles qui viennent de tout le pays pour se frotter au défi ! Il n’y a que très peu d’attrape-nuages dans le monde. C’est un peu comme les Maîtres Laquier au Japon désormais érigés en Trésor National Vivant. Ceci dit, le transport de nuages, qui a connu ses plus beaux jours dans la deuxième moitié du 19ème siècle, tend à disparaître…

Une question de rentabilité essentiellement et de l’échec retentissant des ruses classiques des  armateurs d’aujourd’hui pour l’augmenter. Cela remonte à la fin des années 90. Malgré les réserves de certains, ils ont commencé à mettre de plus en plus de nuages dans les cales… Les trois, quatre premiers trajets – assez courts – se sont bien déroulés. C’est ensuite que les premiers bateaux ont commencé à chavirer. Les nuages étaient trop à l’étroit dans les bas fonds, trop condensés… Impossible de tenir dans cet état, ils finissaient tous par se transformer en pluie, augmentant considérablement le poids du bateau, dès lors incapable de continuer à flotter ! Les marins avaient beau écoper, les plus chanceux se sont retrouvés à l’eau à déclencher leur signal de détresse. Certains ont alors eu la chance de voir un spectacle extraordinaire : la re-formation des nuages, recomposés en d’autres formes, et leur évasion vers des cieux plus contemplateurs…

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Pourquoi faut-il toujours sourire quand on nous prend en photo, et spécialement sur les photos de famille ? La photo de famille… Il semble toujours y avoir deux catégories de personnes : celles qui acceptent volontiers d’être sur ces photos et qui arborent un sourire franc et naturel, et puis, celles pour qui ces moments font partie des simulacres de la vie et qui ne peuvent offrir qu’un sourire pincé au bout du troisième « Madeleine, s’il te plaît, fais un effort ! »… Ce qui est remarquable, avec les photos de famille, et c’est le deuxième effet clic-clac, est que l’on a toujours l’impression, en les regardant quelques années après, que la famille était heureuse et très unie. L’espace de quelques dixièmes de secondes, et la magie s’opère : toutes les tensions qui peuvent exister sont gommées du fait de la seule présence de cet appendice de bras. Est-ce à dire que la photo de famille est potentiellement un mensonge transmis de génération en génération ?

Quoi qu’il en soit, cette dame-là, japonaise, prise en photo par son mari, ne feignait pas son sourire, qui ne traduisait qu’une chose : j’y étais ! Ce qui, parfois, semble ne pas être la conséquence logique de l’existence même de la photographie. Il faut être « sur » la photo. Au pied de la Tour Eiffel, le bras tendu ; à la base de la pyramide de Gyzeh, le bras tendu ; devant la cage des gorilles au zoo, le bras tendu… Quel est le rôle de la photo dans ce cadre ? Une anti-sèche pour les vieux jours, une preuve pour les autres d’être bien allé là où on a prétendu être ?

Je m’égare… Cette dame, comme des milliers de ses compatriotes, était venue exceptionnellement gonfler les rangs de Longchamp pour une course tout aussi exceptionnelle. Un Grand Prix d’Amérique où concourait un cheval japonais, Deep Impact, ce qui, vraisemblablement était chose rare. A tel point que 200 journalistes japonais avaient fait le déplacement… Une ferveur sans précédent, diront les habitués. Drapeaux nippons flottant au vent, tension extrême dans les gradins quand arrive la course, cris incessants quand le cheval s’élance puis mène. Combien de photos ont été prises à cet instant ? Un jour de fierté nationale pour cette dame, et pour tous les autres, malgré la défaite. Deep Impact avait fini 3eme. Une grande déception pour ceux qui le voyaient déjà sur la première marche du podium. Une seconde est tombée quelques jours plus tard quand Deep Impact a été déchu de sa 3eme place pour cause de contrôle anti-dopage positif. La claque ! Le déshonneur ! Qu’est-ce qui reviendra en premier à l’esprit de cette dame lorsqu’elle compulsera son album dans quelques années ? La formidable journée que cela a été ou le sentiment d’avoir été trompée par un équipage qui, fasciné par lui-même et l’attention qu’on lui portait soudainement, a voulu offrir à ses fans exactement ce qu’ils attendaient, en faisant fi des règles élémentaires de l’éthique(-ation) ?

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