Photo-graphies et un peu plus…

Cela nous arrive tous les jours. Tous les jours, nous faisons des hypothèses sur le monde qui nous entoure en fonction des signaux qu’il nous envoie, et surtout, de ceux que nous sélectionnons pour aboutir à ce que nous croyons être, des certitudes. N’ayant accès qu’à une infime portion de la réalité, nous savons pertinemment que, plus que des certitudes, ces conclusions sont des a priori. Des exemples ? Vous faites la queue à la caisse d’un supermarché. Il est tard. Disons, 21h33. Devant vous, un jeune homme en costume vide son panier sur le tapis roulant. Défilent devant vos yeux cinq boîtes de plats préparés, autant de soupes chinoises, des pizzas surgelées, un pack de bière et un paquet de yaourts. C’est facile, vous vous dites que ce type est célibataire et que, de toute manière, il n’a pas le temps de rencontrer qui que ce soit car il travaille trop. Un boulot sûrement intéressant mais qui le fait passer à côté de certains plaisirs de la vie.

Autre environnement. Vous patientez dans une salle d’attente d’hôpital. Service des maladies infectieuses. Ou alors, maternité. Il y a d’autres personnes dans la salle. Un peu nerveuses, comme vous. Dans un cas comme dans l’autre, et tout à fait logiquement, vous vous dites qu’elles sont sûrement malades (et espérez que ce n’est pas contagieux) ou potentiellement enceintes (si vous êtes une femme évidemment ; sinon, vous l’accompagnez, votre femme), sans même réaliser que vous vous trouvez dans la même pièce qu’elles sans être ni l’un ni l’autre…

Ou parfois, vous tombez sur deux photos relativement proches l’une de l’autre – mêmes couleurs, même ambiance, mêmes éléments, même lieu… – , présentées de la même façon, et vous vous dites naturellement qu’elles sont liées. Qu’elles font partie du même tableau, de la même série. Un peu comme ces camions jaunes et noirs perdus dans les hautes herbes et le sable, comme dans une casse un peu dépouillée. Leur proximité, réelle dans les faits, est un leurre. Une manière de vous induire en erreur. Car ces machines roulantes n’appartiennent pas au même monde. Quand la première fait bien 3 mètres de haut, 5 mètres de long, les autres ne dépassent en fait pas les 30 cm… De simples jouets, aussi vrais que nature…

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Lorsque nous faisons des milliers de kilomètres pour nous rendre dans des lieux prétendument remarquables (et nous savons bien qu’ils le sont puisque, au préalable, nous en avons cherché des images dans des livres, des guides, sur Internet, une curiosité maladive nous gâchant partiellement la surprise…), et par ailleurs situés en plein désert (ce qui nécessite un certain effort de la part des visiteurs), nous espérons secrètement, autant que naïvement, non pas les découvrir seul(s) – pure illusion -, mais au moins en petit comité.

Pouvoir entrer dans ce canyon aux couleurs ocres à l’heure où le soleil est au zénith sans faire la queue ; y errer librement sans que le regard ne se heurte à un autre corps découvreur ; apprécier la chute de température sur nos bras découverts, la chair de poule naissante, en passant de la lumière à l’ombre sans entendre qui que ce soit se fendre d’un « il fait froid tout d’un coup » ; suivre les particules de poussière jouant avec la gravitation révélées par les rais du soleil ayant réussi à se faufiler entre les parois rocheuses rapprochées et lissées par les flots sans sentir la pression montante d’un autre groupe en approche… En somme, inspirer et expirer avec l’espace. Dans la pratique, milliers de kilomètres et désert n’y font rien, et il faut souvent réussir à composer avec les autres. Donc, ralentir le pas, se mettre à l’écart, les laisser avancer jusqu’à ce qu’ils disparaissent définitivement et ainsi, être en mesure de capter cette fenêtre où nous serons enfin seul au cœur de la place. Le répit est de courte durée, mais, heureusement, il existe…

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… cet endroit est fascinant ! N’allons pas pour autant dire qu’il est perdu au milieu du désert, même si c’est un peu le cas ; ni qu’il n’est pas très connu, même si Kolmanskop remporte certainement moins d’écho que Tataouine… Ce village fantôme est situé à quelques encablures ensablées de Lüderitz. Le point d’interrogation est toujours là ? Windhoek est la capitale de ce pays où, autrefois, on allait à la pêche au diamant. Certains mineurs croient d’ailleurs toujours au miracle à Kolmanskop, officiellement abandonnée au mitan des années 50 après 42 ans de vie plus ou moins intense, ou plus précisément, après 10 ans de rêve éveillé et 32 années de désenchantement continu. A l’époque faste, la ville a même été la première de l’hémisphère sud à équiper son hôpital d’une machine à rayon X et la première d’Afrique à se doter d’un tram.

Passé ultra moderne. Solitude présente. Entre les deux, le Namib a fait son chemin. Et quand le désert avance, c’est la vie qui s’en va. (!) Et qui revient, parfois, des années après, sous une autre forme, avec d’autres rêves. Non pas celui de trouver une de ces précieuses pierres mais de pouvoir découvrir avec ses propres pieds, avec ses propres yeux, avec son propre cœur curieux cet univers qui s’effrite, s’effondre, se craquelle de tous côtés, se fait engloutir, avaler par le sable, et même transpercer par les rayons du soleil, qui, lui, comme demain, ne meurt jamais. Contrairement aux diamants, faussement éternels…

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Que c’est beau ! Prochaine destination de voyage ? Plage de sable blond, mer tranquille, ciel bleu aux nuages inspirés… Vous vous y voyez déjà. La petite silhouette qui se détache à l’horizon, c’est vous. Vous en êtes sûr. Mais, ne vous emballez pas ! En bas sur le côté, en tout petit, si petit que l’on ne le voit pas, une petite astérisque mentionne que la photo n’est pas contractuelle. On nous vend du rêve, on nous offre ce que l’on veut voir. Tant pis si, sur place, la pluie est au rendez-vous, si la plage est recouverte d’algues et de bouteilles plastique en fin de dérive océanique, et si une voie ferrée (obsession passagère, ah ah) passe juste de l’autre côté de la barrière de palmiers, venant régulièrement interrompre votre quête de sérénité. Vous y avez cru à un moment, vous avez acheté votre billet et c’est parfois l’essentiel. Un mauvais pli pris parfois par les musées aussi…

Il serait de bon ton d’exporter ce concept d’astérisque aux conférences et séminaires, qui, d’une autre façon, nous vendent (gratuitement certes) du rêve, à travers des mots, des titres et des formulations susceptibles d’attirer le curieux… Bien caché : programme non contractuel. Un exemple. Octobre 2008. « Le futur a-t-il un avenir ? » séminaire organisé par le Centre Pompidou. Journée réjouissante, sur le papier, avec un parterre de connaisseurs sur la scène, des thèmes promettant des échanges passionnants… Qui, dans la réalité, s’effondre comme un soufflé à la cuisson interrompue par la curiosité du gourmand. La moitié des invités est absente. Ils s’excusent. Conférence annulée. L’autre écourtée. L’autre totalement réorientée faute de combattants. Si le futur a un avenir, par nature, le présent ne semble pas en avoir. La salle est progressivement désertée au fur et à mesure que les heures passent. Comme hier. Dans cette petite salle du département Media de McGill. « The human after the post-humanist critique or, the fantasy of Interspecies Ethics ». Impatience. Evidemment, à lire ce titre, on ne s’attend pas à assister à une conférence portant exclusivement sur les animal studies et à voir des photos de chiens (même pas des robots) parsemer la présentation. Non, on ne s’attend pas à entendre parler des théories, notamment de Derrida, sur les relations entre l’homme et l’animal, sur les droits des animaux… Certes, c’est sûrement intéressant mais le fait est que ce n’est pas ce que laissait entendre l’annonce. Par conséquent, l’attention se dissout totalement (Mayde, Mayde, décrochage imminent ! John, je crois qu’on l’a perdu ! Cerveau inactif sur les radars…), la succession de mots prononcés dans une langue étrangère se muant en une sorte de musique d’ambiance imposée. Evidemment, a posteriori, lorsque l’on relit attentivement la présentation habilement complétée entre le jour où on a mis une croix dans notre agenda et le jour J (et que l’on n’a pas re-regardé malheureusement), on peut comprendre qu’elle risque de prendre une autre tournure que celle instillée par le titre. C’est le danger à assister à une conférence avec des idées précises sur son contenu potentiel. Je vais guetter donc la prochaine série sur la communication grand public, peut-être y parlera-t-on de publicité mensongère ?

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La marée a trouvé plusieurs fois écho en ces p(l)ages virtuelles (notamment La marée, Coquillages et juste assez, Salmigondis marin, La photographie est un sport de combat). Un sujet qui va, qui vient, au gré des humeurs, du calendrier lunaire et des heures de la journée. La mer aux deux visages… Inlassablement, la marée recouvre et découvre des étendues, offrant un spectacle en perpétuelle métamorphose à ceux qui la suivent. Pas de demie-mesure, de mer à moitié vide ou à moitié pleine. Elle ne s’arrête jamais en route ! Sable fin ou rochers habités de mollusques, d’anémones et autres algues glissantes sont ce que dévoile la marée descendante la plupart du temps…

De fait, cette marée basse-là est particulièrement étonnante, étrange voire inquiétante. Un labyrinthe de pics acérés, résidu d’une mangrove en décomposition, champ de bataille marin… Un véritable piège et une mauvaise surprise pour le nageur attiré par les eaux chaudes et bleutées très accueillantes à marée haute de cet océan Indien et qui se jetterait, pieds nus, dans ses courants. Quand une peau lisse révèle en fait une hostilité pas si profonde… Les apparences sont parfois bien trompeuses.

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Si loin, et pourtant si proches ainsi juxtaposés, comme ils l’étaient déjà, superposés, dans Paradoxe auditif…. Abysse de glace bleue turquoise dont le fond, insondable, nous appelle tel un champ gravitationnel neptunien. A l’aplomb, juste avant la crevasse, une épaisse couche de neige nous sauve de la dégringolade fatale. Elle craque sous les pas, nous prévient. Dans cette atmosphère bleue et blanche qui amortit les sons et donne à chacun l’impression d’être dans une chambre sourde ou un monde déserté par la vie, on n’entend que cela, ce bruit inimitable du crissement des flocons délicatement posés les uns sur les autres, cet air glacial coincé entre les cristaux expulsé brutalement par la pression. Le chant des glaces…

Dans l’autre hémisphère, celui où l’on a la tête en haut, dans le sable, le sans fin, c’est à la fois une autre histoire et la même ritournelle. Il n’est d’ailleurs pas si lointain le temps où l’on m’a appris la nouvelle. Les dunes chantent. A leur manière. Un mythe comme pourrait l’être le tintement induit par l’éclatement de gouttes de rosée à l’heure bleue ? Non, une réalité. Des sons graves, vibrants, d’une puissance assourdissante pouvant atteindre 100 dB selon la taille des grains, provoqués par de grandes avalanches de sable et ressemblant, par moments, à un vol de bourdons. Un pas un peu appuyé sur le rebord d’une dune bien choisie. Elle se fissure. Lentement, la dune se met en branle. Roulement de tambours. Le grondement monte. Tout, autour, s’emplit d’un profond silence, tout s’éteint. Puis les étoiles s’allument, scintillant comme des cristaux de glace. Ce soir, c’est concert à ciel ouvert ! Ou comment le plus insignifiant des grains de sable peut être à l’origine d’un moment dune indicible volupté…

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J’ai longtemps cru qu’il s’agissait d’une légende, d’un conte que l’on racontait aux enfants agités pour avoir enfin la paix, tétanisés par cette peur qu’ils recherchent parfois. J’avais d’ailleurs fini par totalement oublier cette histoire ridicule jusqu’à ce que je ne tombe sur cette double empreinte ensablée, lors d’une errance banale sur un bord de lac suisse, un jour comme un autre, avec un « di » dans son nom. L’homme à la patte de chien… Je suis restée en arrêt devant pendant cinq bonnes minutes tout en cherchant, en vain, le mythe du regard.

Voilà ce dont je me souviens. Un jour d’hiver particulièrement rigoureux dans un village de montagne très isolé, un petit garçon, voulant rattraper le chiot que lui avait offert son père quelques mois plus tôt pour son anniversaire de 8 ans, avait glissé sur une plaque de verglas et dévalé un ravin rocailleux. Le choc avait été si violent qu’il en avait perdu connaissance. En se réveillant quelques heures plus tard, il était fiévreux et une affreuse douleur le lançait à sa jambe droite. Cassée en mille morceaux, plaies ouvertes… Un vrai carnage. Tandis que son père était parti chercher le médecin du village d’à côté (deux jours de marche dans la neige…), sa mère tentait de lui rendre l’attente supportable. Malheureusement, sa jambe s’était infectée de façon fulgurante et à l’arrivée du médecin, la seule option envisageable était l’amputation. Le père ne pouvant imaginer son fils unijambiste eut alors une idée un peu folle… Greffer une patte du chiot à son fils. Le médecin n’était-il pas aussi vétérinaire ? Et après tout, il lui en resterait trois, au chiot ! Passée la stupeur et n’ayant pas vraiment le choix – le père tenait une hache au-dessus de sa tête pendant toute l’opération -, le médecin s’était exécuté. Il avait greffé la patte avant droite du chien au petit. Et contre toute attente, la greffe avait pris. Tellement bien que la patte de chien, certes plus poilue, avait grandi au même rythme que la jambe gauche, humaine. Le garçon devenu homme s’était très bien accommodé de ce membre un peu particulier malgré une claudication on ne peut plus logique et son chien avait sautillé à ses côtés, avec ses trois pattes, pendant des années… Ils étaient restés dans la région, inséparables, un peu comme les deux doigts de la main, quand leur histoire l’avait quittée pour parvenir aux oreilles des parents parfois exaspérés… A vrai dire, ils n’y croyaient pas vraiment mais ils racontaient cette mésaventure avec tant de ferveur que les enfants ne bronchaient pas… Moralité : ne pas aller voir une rétrospective d’Otto Dix avant de se pencher sur le duo du jour !

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La mer vient de se retirer pour la deuxième et dernière fois de la journée. Le sable en est encore tout émoustillé. Quant aux promeneurs, ils n’ont pas voulu attendre plus longtemps pour y laisser leur empreinte. Des centaines de pas alignés, côte à côte, filant dans un sens, dans un autre, se croisant et se décroisant, presque à équidistance les uns des autres. Comme si un préposé aux pas était venu les apposer avec la régularité d’un métronome, comme des timbres sur une enveloppe… Donnant ainsi l’impression d’une marche commune et partagée, un poil fantomatique, laissant même imaginer des échanges chaleureux et enjoués. Illusion. Seules les traces des hommes se sont rencontrées sur cette immense salle des pas perdus à ciel ouvert. Curieux nom d’ailleurs que celui-ci… Légèrement bisémique. A la fois espace clos, transitoire, où l’on est tenté de faire les cent pas en attendant l’annonce d’une décision, d’une nouvelle importante ; mais aussi point de rendez-vous de ceux qui ne sont pas perdus, justement, puisqu’ils s’y retrouvent…

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