Photo-graphies et un peu plus…

La photo de route, un genre en soi, que l’on soit conducteur ou passager ? « Faire de la route » peut en effet conduire à voir des paysages qu’en d’autres circonstances, par exemple pédestres, l’on immortaliserait. La route. Parfois véritable tranchée dans un paysage uniforme dont on se lasse assez rapidement (ou pas). Parfois chemin serpentant à travers des espaces vallonnés laissant, à chaque virage, entrevoir de magnifiques et inédites perspectives. Le paysage. Parfois, il nous accompagne des kilomètres durant, laissant à chaque observateur, le temps de bien s’en imprégner. Parfois, ce qui attire l’œil est furtif, presque subliminal. Une petite rivière gelée en contrebas s’enfonçant dans des bois épars, des chevaux dont la silhouette se dessine au sommet d’une colline… Le temps de les montrer aux autres et il a déjà disparu.

Trois solutions se présentent à soi : avancer et garder en mémoire ces espaces admirés ; s’arrêter – ce qui peut difficilement se faire sur une autoroute sauf si l’on se trouve au Nouveau Brunswick notamment – pour rattraper au vol cette image filante – une opération qui peut se répéter un certain nombre de fois dès lors que l’on s’est auto-autorisé à le faire une fois ; et enfin, déclencher, tant bien que mal, depuis derrière la vitre, soit en confiant le volant au copilote pendant quelques secondes lorsque l’on est conducteur (si, si) tout en veillant à ne pas accélérer car la scène est vraiment exaltante, soit, plus simplement, parce que l’on est passager et porté par un flux sur lequel on n’a aucun pouvoir. Ce qui est le cas de cette image, prise derrière une vitre teintée et striée de traces de poussière orientées dans le sens du mouvement d’un bus nécessitant 72 heures pour traverser un seul et unique pays…

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… la belle neige de Mont-réal, ainsi fond, fond, fond, trois p’tits mois et puis s’en va ! Montréal fond. Littéralement. Et soudainement. La ville goutte et s’égoutte de partout dans un clapotis symphonique orchestré par le ciel lui-même. Les bouts de glace, fragilisés par un redoux temporaire, se disloquent, tombant sur le trottoir dans un fracas de corps qui lâche, comme un modèle après six heures de pose intense. Les beaux petits tas de neige pure se muent en flaques marronnasses. Les mégots de cigarette bien dissimulés sous le manteau blanc remontent à la surface par dizaines. A moins que cela ne soit elle qui remonte à eux. La neige redevenue eau dévale les pentes, même faibles. Le filet dynamique file, innocemment, sans se douter qu’il va bientôt se jeter dans la gueule d’un caniveau émettant un son de rivière souterraine agitée. C’est la fête en bas après plusieurs semaines de statu quo dans le monde lumineux. Le paysage n’est pas toujours très beau, mais qu’est-ce que la beauté face à quelques degrés de plus ? Les oiseaux sifflent, les visages sourient, les écureuils tentent une sortie, certains s’élancent en petite tenue quand d’autres préfèrent, passifs, se shooter à haute dose de vitamine D… Profitons-en, l’accalmie est de courte durée. Demain, retour au négatif !  Les gouttes vont-elles s’arrêter en route ?

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Un matin neigeux. Aucun arc en ciel à l’horizon et pourtant, une mélodie sort de moi encore et encore. Et je n’ai même pas vu Le Magicien d’Oz. Pour tout dire, je ne sais pas vraiment d’où elle sort. Over the rainbow donc. C’est donc cette histoire d’espoir d’un monde coloré, de peines perdues au loin derrière les nuages, de soucis qui fondent comme des boules de glace au citron (si, si), de rêves qui deviennent réalité qui passe en boucle dans ma bouche. Bien sûr, je ne fais que fredonner l’air multicolore et ne découvre que maintenant les paroles de cette chanson créée en 1939 pour Judy Garland. Pour rompre le fil – je ne peux décemment pas rester avec cette chanson accrochée à moi toute la journée -, je décide de tenter l’overdose en l’écoutant en boucle. Direction le site du requin qui groove. Je tapote les quelques lettres du titre et là, s’ouvre devant moi, une liste d’interprétations que j’étais à mille lieues de soupçonner. Un véritable exercice de style ou un bizutage de chanteur ?

Le désir de se défaire de l’arc en ciel se mue en expérience musicale : écouter toutes les interprétations proposées. Une petite cinquantaine au bas mot, Ray Charles, Jewel, Tom Jones, Aretha Franklin, Cosmic Gate, Israël Kamakawiwo’ole, Rufus Rainwright, Barbra Streisand, Beyoncé, Nina Hagen, Jimmy Hendrix, Elvis Presley, Tom Waits, Melody Gardot et j’en passe donc. Il y en a pour tous les goûts, de toutes les époques – jusqu’à 2010 avec Jeff Beck -, de tous les styles musicaux – jazz, techno, électronique, instrumental, ukulele, soul, lyrique, folk… -, des fidèles à l’originale, des déjantées, des inspirées, des amusantes (involontaires je présume), des passionnées, des traduites, des perchées… A chaque fois, la structure et les paroles sont respectées, mais tout le décorum change. Réinventer un classique n’est pas aisé et certains se donnent du mal pour se démarquer. Ecouter ces différentes versions, c’est aussi un peu parcourir l’histoire des courants musicaux de ces 70 dernières années… Cela n’est pas sans me rappeler le couple formé par le négatif et le tirage en photo. Si le négatif est unique – les paroles, la structure -, les tirages – l’interprétation – eux, faits ou pas par la même personne, peuvent se multiplier à l’infini, offrant ainsi des approches totalement différentes d’une même image. Le passage au numérique ne fait qu’étendre le champ des possibles. Mais, d’un certain point de vue, il est aussi réconfortant de constater qu’un tel appel à un monde idéal empli d’amour et de joie – ça a quand même un petit goût de sucre d’orge non ? – a pu être le point de convergence et de ralliement de personnes a priori si opposées les unes des autres…

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Il n’y a rien, ou presque, qui sorte de cette terre désertique à des kilomètres à la ronde, hormis cet arbre noir, sec et étrangement seul. Comme s’il avait été abandonné là, sur le bord de la piste, comme un chien ou un chat sur une aire d’autoroute le premier jour des vacances d’été. L’a-t-il toujours été, seul, cet arbre ? Une forêt recouvrait-elle cette terre aride à une époque ? Et qui était là en premier, l’arbre ou la route ? Indépendamment de la réponse à cette question, pourquoi sont-ils si proches l’un de l’autre alors qu’il y a tant de place autour ? Et comment expliquer, enfin, que, sur une zone vraisemblablement vierge et sans contraintes (pas de cours d’eau, pas de crevasse, pas de montagne…), l’homme préfère tracer une route sinueuse plutôt qu’une ligne droite ?

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… des dessous d’autoroutes ! J’ai présenté cette photo au concours Metro Global Challenge, dans la catégorie « Trajet quotidien », quand bien même je ne suis passée par là qu’une seule fois dans ma vie. Bref, sur les 18 photos soumises au vote d’un très large public, celle-ci n’a recueilli qu’une seule voix. Et c’est la mienne ! J’ai eu pitié, trouvant cette mise à l’écart proprement injuste. Comme j’aime cette image, sa dualité clair/obscur, la percée du soleil venant éclairer les dessous volontiers sombres et glauques de cette autoroute décadente, les silos blancs sur le côté au relief rehaussé par la lumière basse, il me tenait à cœur de lui rendre hommage. Et à travers elle, à toutes ces zones industrielles, de passage ou en friche délaissées par les regards…

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… du promeneur solitaire. Partition changeante de bord de mer. La symphonie chaotique. Note grave et tenue à la poupe du navire à roues : un homme marche, seul. Un do de face. A l’horizon incliné par son poids, un grain se pointe. Coups de tambour. Avis de tempête temporaire. Lui, serein, poursuit sa route. Le fil.

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