… on accepte ce que l’on rejetait fermement dans le temps. Je m’entends encore le dire (ou presque) : « Jamais j’n’irai nager dans ces piscines parisiennes ! Faire la queue pour nager, franchement, ça a pas d’sens ! ». Oui, à cette époque, je ne mâchais pas mes mots… Et pourtant, si un citadin veut brasser, crawler, papillonner, il doit malheureusement se plier à cette réalité, le faire en compagnie de ses – nombreux – congénères, tout aussi ravis que lui, et accepter certaines règles de conduite, à la fois logiques du fait des circonstances et totalement absurdes par ce qu’elles imposent.
Le topo est simple : vous vous approchez du bassin un peu à reculons (vous pensez encore à ce que vous vous disiez il y a quelques années), vous choisissez une ligne (après une courte analyse mathématique sur les corps plongés dedans et défiant la loi d’Archimède), vous entrez dans l’eau (avec votre joli bonnet, vos lunettes qu’il faudra écoper dans quelques mètres voire votre pince-nez qui ne tient pas) et vous attendez le bon créneau pour vous élancer (comme sur une bretelle d’autoroute). Clignotant, coup d’œil du côté de l’angle mort pour éviter un corps à corps dès le départ, et puis c’est parti. Vous avez réussi à vous glisser entre un dauphin et deux copines qui papotent en se persuadant qu’elles font aussi du sport. Le dauphin ne vous pose pas réellement de problème même s’il vous éclabousse de son crawl maîtrisé pendant quelques secondes, le temps de doubler la personne qui lui bloque le chemin vers la victoire, et que vous finissez par atteindre inexorablement… Sans pouvoir la doubler pour autant puisque sur cette deux voies à double sens, le trafic est temporairement congestionné dans le sens inverse…
Voilà que vous naginez, comme vous piétinez parfois à marcher avec des personnes au pas lent… Naginer, comme toute action faite à un rythme non naturel, est très fatigant. Et puis, c’est agaçant. Vous êtes quand même là pour faire quelques longueurs… Pour suer, vous dépenser… Pour sortir de votre zone de confort, comme disait l’autre. Et bien, non, comme au supermarché, comme à l’entrée du métro, comme devant les images d’une expo à succès, vous faites la queue pour avancer. Un regard désespéré sur une autre ligne ? L’eau est-elle plus bleue ailleurs ? Vous tentez une incursion et pensez aux petits hérissons écrasés sur le bas côté d’avoir voulu traverser la chaussée… Une image effroyable qui vous fait changer d’avis instantanément et tenter le tout pour le tout : le doublage sous-marin… Après tout, quitte à se déplacer dans un volume, autant en exploiter toutes les dimensions. Une stratégie qui n’est pas sans risque : d’abord de coup de pied, ensuite de surprise du doublé voyant une tâche sombre lui passer en dessous et émerger juste devant elle… N’empêche, vous avez réussi à passer, à avancer, à finir votre longueur. Plus vous nagez, plus vous absorbez ces petites taquineries comme un airbag, les chocs ; plus vous nagez, moins vous entendez ce qui se passe autour de vous ; plus vous nagez, plus vous entrez dans votre bulle en vous disant que, finalement, les piscines parisiennes, c’est pas si pire…