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Les temps sont durs pour le voyageur du 21e siècle… Non seulement il peut se déplacer sur la planète avec plus de facilité qu’à n’importe quelle autre époque grâce à l’envol de l’aviation civile, au déploiement des réseaux routiers et ferrés, mais en plus, s’il ne peut ou veut changer son corps d’environnement, il lui suffit d’appuyer sur un bouton ou de tapoter quelques lettres sur son clavier pour voir le monde s’afficher sur son écran et s’évader virtuellement. Cette omniprésence de l’ailleurs dans nos imaginaires, qu’il soit vécu ou pas, fait que, lorsque l’on y accède réellement, la surprise, ou plutôt la découverte, peut être relative. Et même si vivre est bien différent de voir, le voyageur gâté se laisse parfois aller à un blasé « ça ressemble à… ».
L’allusion n’est ni méchante ni forcément fausse, et elle n’enlève rien à la beauté intrinsèque du lieu en question, elle en relativise simplement la portée. En des lieux inconnus, nous avons en effet parfois tendance à vouloir nous raccrocher à ce que nous connaissons déjà ou croyons connaître. Ce qui semble finalement assez logique, l’inconnu faisant toujours un peu peur. Encore que la peur susceptible de générer un paysage n’a certainement rien à voir avec celle, par exemple, qui nous prendrait d’assaut avant un baptême de parachutisme, là, les jambes dans le vide, l’air frais bloquant la respiration et l’instructeur derrière lâchant, hyper enthousiaste : « Allez, on se jette ! » alors même que nous nous demandons ce que nous faisons là et s’il est possible que le parachute ne s’ouvre pas ou se détache, que sais-je, je n’ai jamais essayé, mais j’imagine… Non, un paysage ne va pas jusque là. A priori. Evidemment, se trouver au bord d’un gouffre peut impressionner les personnes sujettes au vertige mais aussi celles qui ne pensaient pas l’être… Une forêt humide au sol tapissé d’arbres chus et déracinés peut angoisser au crépuscule… Un désert désert sous 50°C peut aussi provoquer quelques sueurs froides… Bon, très bien, un paysage peut être effrayant.
Toujours est-il que cette manie que nous pouvons avoir de comparer ce que nous sommes en train de vivre avec ce que nous avons déjà vécu a cela d’ennuyeux qu’elle gâche un peu le plaisir que nous avons à découvrir un lieu dont nous n’avons jamais foulé le sol. Il faudrait pouvoir effacer tous nos souvenirs, réels ou implantés, avant de partir en voyage pour arriver vierges sur le territoire visité et ainsi pouvoir voir une plage à marée basse comme si c’était la première fois. Car rien, a priori, ne ressemble plus à une plage à marée basse qu’une autre plage à marée basse. Il y a toujours du sable, beaucoup de sable, du ciel, un grand ciel, des gens qui se baladent à l’horizon, un peu d’eau, lointaine… Et pourtant, cette plage à marée basse est unique et ne ressemble à nulle autre que j’aurais pu voir auparavant… A contrario, il arrive que parfois, mais c’est comme les neiges du Kilimandjaro, cela tend à disparaître pour les raisons sus-citées, ce même voyageur n’ait aucun repère et se sente réellement en une place inédite. Il ne peut alors s’empêcher de lâcher « ça ne ressemble à rien de ce que je connais ! »… Ce qui est sûrement le plus beau compliment que l’on puisse faire à un paysage…