tags: Detroit, Heidelberg Project, histoire, monde, réflexion, René Barjavel, temps, vie
Sur ces pages virtuelles, je suis souvent partagée entre m’émerveiller de la beauté et de la diversité du monde, de ces petits riens de nos quotidiens qui font parfois l’essentiel dès lors que l’on sait, que l’on peut ou que l’on s’autorise à les saisir au vol, ou bien me désoler de l’évolution du monde dont la complexité – souvent liée à la coexistence d’extrêmes inconciliables – m’intimide, me désarçonne même chaque jour un peu plus. Car, si nous vivons tous sur la même planète – la seule habitée à des années-lumière à la ronde -, nous ne vivons clairement pas tous dans le même monde.
Aussi naïf, romantique et immature que cela puisse paraître, cette assertion, dont je ne conteste pas l’évidence, m’affecte. Et l’afflux d’informations auquel nous sommes exposés – au moins cinq fois plus qu’au mitan des années 1980 – et auquel nous nous exposons volontairement plus ou moins modérément, nous mettant, en temps réel et sans véritable hiérarchisation, face à tout ce qui se passe dans tous les domaines dans le monde, n’aide pas à atténuer ce double sentiment de sidération et d’impuissance. Suis-je simplement sujette à une forme très banale de culpabilité judéo-chrétienne malgré une éducation athée et laïque ? Cette empathie est-elle sincère ? Et quel traitement lui réserver ? Comment composer avec ce monde où se multiplient les pires horreurs, ignominies, cruautés, injustices, locales et globales, à effet immédiat et différé, proches et lointaines ? En faisant l’autruche car ce que nous ignorons ne peut nous faire de mal ? C’est déjà trop tard car nous saurions que ce filtre est artificiel. En luttant, mais contre qui, avec qui, contre quoi, avec quoi et, surtout, par où commencer pour que cela ait un effet autre que cosmétique ? Je n’en sais fichtre rien.
Ce que je sais en revanche est que, quoi qu’il advienne, les aiguilles du temps qui file ne s’arrêtent pas, et la Terre, elle-même, ne s’arrête pas de tourner. Elle reste impassible, imperturbable, ne ralentit pas son allure, ne change pas d’inclinaison, ne se renverse pas subitement, pour dire « Oh, hé, ça suffit là ! »… Comme si elle était insensible à ce qui se trame à sa surface – je sais que c’est faux : l’accélération de l’activité humaine depuis la révolution thermo-industrielle il y a 2 siècles est à elle seule responsable de la création d’une nouvelle ère géologique, le fameux anthropocène, et de la survenue de bouleversements climatiques sans précédent et dévastateurs pour les décennies à venir -. D’ailleurs, il se murmure également de l’homme qu’il est devenu insensible aux maux et malheurs du monde qui défilent pourtant sous ses yeux à un rythme effréné, trop vite assurément, de telle sorte que ces faits, souvent d’une violence extra-ordinaire, présentés comme une liste de courses de samedi matin entre deux friandises, en deviennent banals, donc faciles à oublier, à quelques extrasystoles près, justifiés ou pas, qui soulèvent l’indignation collective, parfois mondiale. Et je pense alors à Barjavel, à Ravage, en particulier, à la fin très précisément, quand, après une apocalypse qui pourrait permettre aux rescapés de tout recommencer sans répéter les erreurs qui les y ont conduits, un personnage né après la catastrophe invente une machine agricole pour s’épargner des efforts, augmenter sa production et faire gagner du temps à sa communauté…
La planète survivra, quoiqu’il advienne de l’homme. Elle a déjà survécu à une météorite qui a provoqué la disparition des dinosaures, elle saura survivre aux bêtises des parasites qui crapahutent à sa surface, et ce même si ces parasites trouvent le moyen de s’auto détruire. Quant à la manière d’affronter les paradoxes de notre époque avec ses souffrances et ses injustices, personnellement, tenant compte du fait que je n’ai pas les moyens d’y mettre un terme et sans pourtant jouer à l’autruche, j’ai fait le choix de me concentrer sur ce qui est a ma portée, à savoir : protéger ma famille et transmettre à mes enfants des valeurs morales qui, a défaut d’améliorer le monde, n’empirerons pas son cas.
Je ne prétends pas avoir de réponses claires à ces questions très difficiles, mais j’y réfléchis aussi.
Voici une courte citation : des phrases de Maurice Blanchot lues il y a quelques jours, par le plus grand des hasards…
» Comment peut-on prétendre : « Ce que tu ne sais en aucune manière, en aucune manière ne saurait te tourmenter » ? Je ne suis pas le centre de ce que j’ignore, et le tourment a son savoir propre qui recouvre mon ignorance. » (L’Ecriture du Désastre, 1980)