Il faut imaginer que ce mur de brume gris-bleu ancré dans l’océan se poursuit au-delà du cadre, à gauche et à droite jusqu’à couvrir tout l’horizon. Que cette masse incroyable a gonflé peu à peu, lentement mais sûrement, de telle sorte que personne ne l’a réellement vu arriver, un peu comme dans une partie d’1-2-3-soleil où celui qui compte réalise bien, à chaque fois qu’il se retourne, que chacun a avancé sans pour autant les avoir vu bouger. Ainsi en est-il de cette falaise cotonneuse, un brin effilochée, impénétrable et mouvante face à laquelle le spectateur médusé éprouve une double envie : fuir pour se mettre à l’abri d’un danger indéfini, ou, au contraire, l’attendre, de pied ferme, continuer à la regarder grignoter l’océan mètre après mètre, à la voir noircir les vagues miroitant encore sous les derniers rayons du soleil couchant, et se laisser envelopper par cette atmosphère apocalyptique à la beauté saisissante, hypnotisante, grisante que l’on a peine à croire menaçante, pour éprouver le vide, la perte de repère, l’inconnu absolu et pouvoir répondre à cette question dès lors obsédante : qu’y a-t-il, de l’autre côté ?