Prendre cette photo m’a rappelé une remarque de mon professeur de dessin au lycée. Il y a quelques phrases d’enseignants, comme cela, qui m’ont marquée, sans qu’elles aient toujours de lien direct avec le contenu de leurs cours. En la matière, c’est une appréciation de ma professeur de français de 1re qui gagne, haut la main, la palme de la sentence la plus mémorable. Je vous la livre telle que je m’en souviens, c’est-à-dire, à la virgule près : « La médiocrité du français gène des travaux de plus en plus satisfaisants ». Sentence servie dans un contexte où j’étais parmi les 5 premières de la classe. Je n’ose imaginer ce qu’elle a écrit aux suivants. Un mélange subtil de compliment et de vacherie que, comme le lait, j’ai eu du mal à digérer, ne sachant s’il fallait que je m’attarde plus sur le mot fort et violent « médiocrité » ou celui, encourageant et porteur d’espoir « satisfaisants ». Je n’ai pas tranché mais force est de constater que cela n’a pas altéré mon désir d’écriture, qui n’existait pas forcément à cette époque d’ailleurs, même si la formule a traversé les décades comme un saint sacrement. J’ai cru l’avoir croisée dans la rue il y a quelques mois. En blonde. Fausse. C’était très furtif et je n’ai pas cherché à vérifier. Que lui aurais-je dit ? « Vous vous souvenez, je suis la fille au français médiocre mais aux travaux de plus en plus satisfaisants ? ». Je me demande ce qu’elle penserait en apprenant que le verbe est devenu mon quotidien. Je pourrais même pousser un peu plus loin et me demander en quoi ce défi qu’elle me lançait à travers cette phrase sibylline n’a-t-il pas été le catalyseur de cette nécessité d’écrire, mieux.
La remarque de mon professeur de dessin m’a plongée dans une perplexité toute différente, à tel point, qu’aujourd’hui, je doute encore de l’avoir bien entendue. Son ton catégorique à l’époque avait ôté toute velléité de contradiction même si je n’en pensais pas moins. Notre salle d’arts plastiques était perchée au dernier étage du lycée, avec une belle hauteur sous plafond, partiellement des verrières. Un vrai atelier d’artiste avec ses tâches de peintures sur le parquet. Il y avait des ombres sur le dessin que je lui présentais pour un retour éclairé. Des ombres à la tonalité différente. En clair, des ombres plus sombres que d’autres. Parce qu’il y avait plusieurs éclairages. Logique. Même plus que ça, optique. Un peu rieur, il m’avait alors dit que les ombres ne s’additionnaient pas. Une ombre n’était qu’une ombre, toujours fidèle à elle-même. Et pourtant, quand on voit la multi-projection de cet escabeau sur le béton, force est de constater que l’ombre est loin d’être si monotone…