Je m’étais dit que le jour du déconfinement, j’irais dans un parc ou mieux, au bois, pour aller revoir les arbres. Ils me manquent terriblement. Mais ce matin, en ouvrant la fenêtre, l’odeur nauséabonde – mélange étrange de brûlé et de soufre – à l’origine toujours non identifiée qui m’avait déjà poussée à la fermer hier était toujours dans l’atmosphère. Ce n’est pas vraiment accompagnée de ces effluves que j’imaginais ma première sortie hors du kilomètre. Et si elles n’avaient pas été suffisantes pour me décourager, les fortes rafales de vent balayant tout sur leur passage, faisant vibrer les immeubles et s’affoler les platanes, allaient s’en charger. De fait, je ne suis pas allée au Bois. Peut-être demain.
Toutefois, une urgence « timbre » est venue s’immiscer dans mon début d’après-midi, même si l’usage du mot « urgence » peut sembler saugrenu par les temps qui courent. Avez-vous remarqué que les temps ne marchent jamais, ni ne traînent ? N’est-ce pas la preuve irréfutable que le temps, par nature, passe vite ? Et dans le même esprit, avez-vous tenté d’aller à La Poste ces derniers temps ? La file d’attente de la mienne était si longue que j’ai changé de ville pour aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Elle ne l’était pas. Mais j’ai trouvé mon bonheur dans un bar tabac vide et la lettre est partie. Qu’elle arrive est un autre débat.
Sur le trajet, je suis tombée nez à nez avec cette signalétique nouvelle génération. Le pochoir, c’est le futur ! En tout cas, celui du monde d’après. Je l’aime bien celui-là. « Zone d’attente ». Grâce à la subtilité de la langue française, cette zone d’attente a au moins deux significations. Elle désigne un espace, un lieu, où ceux qui souhaitent entrer quelque part sont invités à patienter, provisoirement. Remarquez qu’il ne s’agit pas d’une salle d’attente, qui signifierait que nous sommes déjà à l’intérieur. Non, la zone d’attente précède l’éventuelle salle d’attente. Elle est à l’extérieur. C’est cela que nous sommes sensés comprendre ici.
Mais la zone d’attente, comme dans son registre la zone de confort, pourrait aussi désigner cet état psychologique dans lequel nous sommes actuellement : dans l’attente de voir se dérouler la suite, une suite à propos de laquelle nous avons beaucoup d’espoir, beaucoup d’attentes en somme – de la part des autres mais aussi de nous-mêmes, nous qui nous sommes peut-être promis de changer certaines choses dans nos vies.
C’est cela que je comprends, personnellement, en tombant sur ce tag autorisé, que nous sommes au cœur de la zone d’attente. La zone d’attente, cette abstraction spatio-temporelle où patience et impatience doivent cohabiter. Essayons de ne pas nous décevoir…
Hier soir et une bonne partie de la nuit, le ciel s’est déchaîné ici, à Paris. Un orage incroyable, des pluies diluviennes, des lames d’eau même, de puissantes rafales de vent, de vibrants coups de tonnerre et des éclairs – des fulmineux, des ramifiés, des sinueux – si puissants et nombreux qu’ils donnaient la sensation qu’un petit malin s’amusait avec l’interrupteur céleste, jour nuit jour nuit jour… Le tout, au beau milieu d’une discussion groupée et à distance sur le chamanisme, les arbres, la nature, les ancêtres, les esprits, les totems… Le tout, la veille du déconfinement tant espéredouté. Tout pourrait être déconnecté. Ou pas.
J’ai mon Encyclopédie des symboles sous les yeux, page 683 à Tonnerre, « Presque toutes les civilisations antiques voient dans le tonnerre un moyen utilisé par les êtres célestes pour indiquer leur présence : ce sont ces mêmes êtres qui sont d’ailleurs bien sûr à l’origine de la foudre. (…) Le tonnerre est souvent interprété comme un signe de la colère divine à la suite d’un bouleversement de l’ordre cosmique ; il en allait ainsi chez les Celtes, et particulièrement chez les Gaulois où le grand Taranis en était le maître. Toutefois, ce bouleversement du ciel et des éléments était généralement dû à la mauvaise conduite des hommes, qui provoquaient ainsi la colère de dieu » (1). Les Indiens d’Amérique du Nord, les Yakoutes de Sibérie, les Chinois, les Aztèques, les habitants d’Europe centrale, les Tibétains, les Japonais en ont une autre approche. Les symboles étant intimement liés aux cultures, rien d’étonnant à ce que les interprétations d’une même notion, d’un même événement, d’un même objet, d’un même animal… diffèrent d’un bout à l’autre de la planète. La France étant un pays de tradition Celte – les irréductibles Gaulois –, c’est celle-ci que j’ai retranscrite ici. De l’autre côté, dans le même dictionnaire, je lis, page 278, au rayon Foudre qu’« [elle] est, dans une conjonction d’opposés, le principe de la vie et de celui de la mort (…). D’autre part, elle unit, le temps d’un éclair, le Ciel à la Terre ». Cet épisode orageux qui a traversé le pays cette nuit et aujourd’hui serait-il à la fois une mort – celle de l’ancien monde – et une naissance – celle d’une ère nouvelle ? Ou juste la conséquence logique de l’instabilité de l’atmosphère, d’un sol anormalement chaud et d’un air anormalement froid, générant un différentiel d’électricité en altitude. Craaac, Scraaaatch, Braoum ! Evidemment, tout cela est très symbolique.
Mais les symboles font probablement plus partie de notre vie que nous ne l’imaginons : « les avancées dans la neurophysiologie qui ont eu lieu ces dernières années, et en particulier les travaux d’Antonio Damasio (1994), confirment ce qui était jusque-là une intuition clinique : nous pensons en symboles avant de penser en paroles » rappelle le psychiatre Philippe Caillé (2). On dit ainsi du symbole qu’il montre, réunit et enjoint. Pour Claude Lévi-Strauss – note pour moi-même, lire son travail sur les mythes –, le symbolisme est un « mécanisme régulateur de la société, une condition indispensable de son équilibre ».
Ah ah ah ! En ouvrant « au hasard » mon Encyclopédie, je tombe sur le mot Masque ! Ce n’est pas une blague. J’aime beaucoup le clin d’œil et je le perçois comme une invitation à poursuivre dans cette direction. Le masque est, à plusieurs titres, lui-même devenu un symbole de cette crise de coronavirus. Le masque comme symbole de l’incurie des dirigeants présents et passés – inutile quand il n’y en avait pas, utile depuis qu’il y en a, voire obligatoire bientôt dans certains cas –, le masque comme symbole d’une solidarité citoyenne – avec ces nombreuses initiatives spontanées de confection de masques en tissu destinés aux plus exposés, les soignants, puis, progressivement, à tous –, le masque comme symbole de respect de l’autre – en mettre, c’est d’abord protéger les autres, en particulier, les plus vulnérables –, le masque comme symbole iconique – en dessin, en photo, en pochoir, seul, sans tête autour, il sera, dans mon esprit, associé à cet événement pendant très longtemps –, le masque comme symbole de notre diversité culturelle – les pays ayant la culture du masque ont été nettement moins touchés que ceux qui ont commencé par le dénigrer avant de l’adopter, ce qui en fait également le symbole d’une certaine forme d’arrogance occidentale –, le masque comme symbole d’une résistance bienvenue – à quoi vont servir toutes ces caméras maintenant que nous allons errer masqués et non identifiables ? –, le masque comme symbole de créativité – en tissu, en papier torchon, avec des bouts de chaussette, des intercalaires transparents, en wax, avec des sacs d’aspirateur, des filtres à café, des bandanas, cousus main, à la machine, assemblé avec des agrafes, et même transparent pour que les personnes sourdes puissent lire sur les lèvres ! On est loin de l’idée classique du masque derrière lequel on se cache… Aujourd’hui, en nous masquant, nous montrons presque notre vrai visage. L’anthropologue Fanny Parise, qui a initié une étude sur l’anthropologie du confinement, estime d’ailleurs qu’il est devenu un « objet totem », au même titre que le PQ ou le gel à un moment (3). « L’objet totem ordonne les pratiques et les représentations du monde autour de sa manipulation. Il permet d’expliquer l’ordre des choses et d’affronter le quotidien » (4). Et la boucle est bouclée.
Aujourd’hui, 10 mai, c’est certes la veille du déconfinement, mais c’est aussi la fin de la 6eédition d’Objectif3280, que j’évoquais au Jour 12 de mon confinement à Wellington et qui a débuté le 8 avril. Il y a donc un peu plus d’un mois. C’est court un mois quand il faut réunir 3280 photos, c’est long un mois quand il faut maintenir l’attention. Pour moi, c’est toujours un moment de grande intensité, car la rencontre entre un rêve de communion – nous, ensemble, créant une œuvre unique – et la réalité – parfois dure : pas le temps, pas d’idée, pas envie ; souvent réjouissante : des images incroyables, des associations d’idées très variées, des impatiences… Et une nouvelle fois, la magie a opéré. 174 personnes vivant dans 21 pays ont participé et nous ont offert, se sont offert, de formidables échanges photographiques – logiquement et heureusement marqués par le confinement pour certains –, composant ainsi plusieurs centaines de photopoèmes – j’aurai le chiffre exact demain, une fois la fin officialisée – que je rêve désormais d’accrocher à des arbres, en pleine nature, pour que chacun puisse les découvrir au gré de ses errances, et ainsi, en une poignée de minutes, rire, réfléchir, pleurer, être surpris, bouleversé, ému, amusé, émerveillé, inspiré… Merci à vous de m’avoir à nouveau transportée dans un monde où le rêve a toute sa place. Alors, continuons gaiement ! Demain est un autre jour et nous l’attendons !
J’ai d’ailleurs choisi d’illustrer ce texte avec la photographie que j’ai prise comme point de départ de cette 6eédition un peu particulière. Ce matin-là, après avoir fait l’ascension du Roys Peak sur l’île du sud de la Nouvelle Zélande à la lueur de la Lune, j’avais surtout pensé à l’importance de vivre chaque instant intensément, à ma chance d’être là, même si, finalement, l’événement est tout sauf rare : le soleil se lève et se couche tous les jours depuis des milliards d’années et le fera encore pour autant d’années. Je regarde désormais cette image avec un autre œil. De façon plus symbolique, comme l’aube d’une nouvelle ère à laquelle nous avons, chacun à notre échelle, l’opportunité de donner une direction plus juste, plus respectueuse et plus équilibrée…
Mes yeux me disent qu’ils sont fatigués de trop d’écran, je vais les écouter et m’en éloigner un peu. Entre l’écriture quotidienne de ces textes, le suivi d’Objectif3280 – dont la 6e édition se termine demain en fin de journée –, le travail sur mes photos, la lecture des infos et des petites séances ciné, j’y passe le plus clair de mes journées. Pour une heure dehors au mieux donc. Les proportions se sont littéralement inversées par rapport à mes trois premiers mois de cette année 2020. Il est grand temps de rééquilibrer tout ça !
Ce matin, en découvrant la liste des 44 stations du métro parisien qui resteront fermées lundi, à l’heure du déconfinement, je lis que c’est le cas de République. Cela me semble presque ironique, voire cynique que République soit interdite d’accès pour un temps indéfini encore, parce que des personnes venant de divers horizons (les autres lignes de métro) y convergent… Dans les faits, et pour limiter les flux et les croisements de voyageurs, toutes les stations avec correspondances, hormis les gares, sont closes. Cela peut s’entendre et en même temps, à une autre échelle, rompre les connexions possibles est tellement symbolique…
Au rayon « nouvelles du monde », il y a celle-ci aussi, en direct de Singapour (1) avec les images de Spot, un chien robot tout droit sorti des laboratoires américains de Boston Dynamics –l’un des plus avancés en la matière et dont on voit régulièrement les créations accomplir des exploits, ce qui fait naître un double sentiment de frayeur et de fascination car on perçoit derrière le mignon petit saut réussi tout le potentiel pour les armées et divers services d’ordre d’ici et là. Spot patrouille nonchalamment dans un parc de la ville-pays pour rappeler aux badauds qu’ils doivent respecter les distances de sécurité entre eux. Un chien qui parle donc. Ce n’est pas un Disney pourtant ! Ce serait même plutôt (ah ah !) un de ces épisodes visionnaires de la série Black Mirror… « Ils » lui ont d’ailleurs attribué une voix de femme. Outre le fait que c’est le genre privilégié par les sociétés technologiques pour des raisons historiques et sociologiques (2), on peut aussi y voir la volonté de compenser le caractère agressif lié à sa nature métallique – ces robots-là, nous y sommes habitués dans les films, pas dans la réalité ! La voix d’une femme et non d’un homme – les robots devraient-ils avoir un genre ? – pour associer le message véhiculé à la douceur, au prendre soin, à l’attention de la mère de « famille » et non à l’autorité… Rien n’est évidemment laissé au hasard. Pour l’heure, les caméras qui équipent Spot « ne pourront pas suivre ou reconnaître des individus spécifiques, ni collecter de données personnelles » (1). Mais pour combien de temps encore ? J’évoque Singapour mais à Nice, donc tout près d’ici, les drones redresseurs de torts sont déjà dehors – avec une voix d’homme d’ailleurs –, à sillonner la ville avec leur bzzzz de gros moustique parasite, répètent les règles du confinement et, si besoin, envoient des policiers sur place pour vérifier les attestations dérogatoires des dangereux individus suspectés de vouloir se baigner, marcher sur la plage ou restant un peu trop statiques (3)… « Je n’ai pas envie de cette société là » se désole un père auquel le droneur a envoyé des policiers en chair et en os, à qui il a dû expliquer qu’il restait au même endroit pour permettre à ses filles de faire du vélo sur la place (cela n’était pas clair sur la vidéo ?). Qui veut de cette société-là en fait ? Oui, je sais, sans doute plus de monde que je ne l’imagine.
Ainsi, si nous avons été surpris par la vitesse à laquelle notre monde s’est arrêté, paralysant les économies de centaines de pays en un temps record, nous intimant l’ordre de ralentir également, nous pouvons l’être tout autant par le coup d’accélérateur donné aux méthodes de surveillance organisées des populations qui n’en demandaient pas tant. J’ai hâte de voir débarquer les petites araignées mouchard de Minority Report pour vérifier que je suis bien qui je suis ! C’est incroyable à quel point un unique événement peut concentrer autant de questionnements et de perspectives, pour certains vertigineux ! Reste que cela a quand même des allures de boîte de Pandore… J’ai longtemps eu une idée édulcorée de cette expression, croyant naïvement qu’elle ne contenait que des surprises, qu’elles soient bonnes ou mauvaises… Déjà, la boîte est en réalité une jarre, mais la « Jarre de Pandore » sonnait moins bien. Pour que les choses soient claires, je me permets donc de rappeler qu’en ouvrant la boîte-jarre, Pandore, première femme terrestre déjà bien trop curieuse, libéra tous les maux de l’humanité – maladie, vieillesse, guerre, vice, folie, passion (un mal ??)… –, l’espérance, un peu plus lente, ne réussissant à s’échapper que dans un second temps (ou pas, selon certains). L’ouvrir, c’est donc s’exposer aux pires catastrophes…
Si je voulais être schématique, je dirais, sans que cela soit totalement grossier pour autant, que les différentes routes que j’ai empruntées jusqu’à présent – scientifique, journalistique, sociologique, artistique, « voyagique » – n’avaient (et n’ont) qu’un seul objectif : me permettre de comprendre un peu mieux – et sous différents prismes donc – le monde dans lequel nous vivons. Depuis la soupe primordiale à la naissance d’une émotion forte en passant par les raisons qui poussent telle ou telle personne à agir de telle ou telle sorte. Bien sûr, je ne comprends pas tout. Je devrais même dire qu’il y a beaucoup de choses qui m’échappent. Malheureusement. Et heureusement, car cette incompréhension face à certains événements de la vie, loin de me rendre fataliste, m’invite à chercher encore plus, à rester éveillée et alerte, prête à cueillir des réponses, même infimes, même instables, le tout, sans perdre de vue mon optimisme. Optimisme que je garde intact à l’échelle personnelle car j’ai mes solutions en tête, mais, qui, à une échelle plus collective, me paraît un peu égratigné ces derniers jours, au fur et à mesure que nous nous rapprochons du monde d’après, qui, pour le moment, concrètement, malgré les manifestes et appels à une (r)évolution radicale dans nos façons de penser le monde, n’est décidé que par les instances gouvernementales ! Ce serait presque là un aveu de dissonance cognitive. En outre, j’avais précédemment écrit qu’il ne fallait pas chercher à comprendre les enchaînements de décisions pris en ce moment. La posture est in(sou)tenable à long terme !
Bref, c’est le moment d’écouter France Gall ! « Si on t’organise une vie bien dirigée – Où tu t’oublieras vite – Si on te fait danser sur une musique sans âme – Comme un amour qu’on quitte – Si tu réalises que la vie n’est pas là – Que le matin tu te lèves sans savoir où tu vas – Résiste – Prouve que tu existes – Cherche ton bonheur partout, va – Refuse ce monde égoïste – Yeah, yeah, yeah, résiste – Suis ton cœur qui insiste ». J’aime beaucoup l’idée de citer Edgar Morin et Michel Berger dans un même exercice de pensées et d’écriture… L’un et l’autre ne s’adressant pas au même endroit du corps et de l’esprit, ils sont également utiles pour préserver notre équilibre (en tout cas, le mien ; je vous laisse évidemment libres de trouver vos références) ! Or, l’équilibre, c’est la vie !
Je me demandais pourquoi, soudainement, le tigre était aussi populaire… Tout comme les chamailleurs il y a quelques jours. Sachez donc que le tigre apparaît dès la deuxième séquence du Yangjia Michuan, une variante du tai chi chuan dont la transmission est secrète. Ou presque. Il y a quand même une page Wikipédia. Donc, pour notre culture à tous, voici la séquence complète en 44 mouvements :
Enfourcher le tigre et gravir la montagne, à droite puis à gauche
Se tourner, frapper trois fois avec la paume, saisir la queue du moineau, fermeture apparente, à droite puis à gauche
Avancer et cai à droite
Demi-fouet, à gauche
Pousser la montagne dans la mer, à gauche puis à droite
Coude horizontal, à gauche puis à droite
Frapper avec le poing par-dessous le coude, à gauche puis à droite
Le singe bat en retraite, à gauche puis à droite
Faire un pas, soulever un bras et frapper au cœur avec la paume, à gauche puis à droite
Poussée vers la droite
Simple balayage du bras, à droite
Zhou et kao vers la droite, cai, zhou et kao vers la gauche
Pas en avant, frapper au cœur avec la paume, à droite
Reculer, la grue blanche déploie ses ailes, à gauche
Attraper le genou en faisant un pas, à gauche
Soulever le rideau, à droite
Chercher l’aiguille au fond de la mer, à droite
Le dragon vert surgit des eaux, à droite
Se retourner, frapper avec le poing en le rabattant sur le côté, à droite
Peng, saisir la queue du moineau et fermeture apparente, à droite puis à gauche
Avancer et cai, à droite
Simple fouet, à gauche
Les mains ondulent comme les nuages – 1re série
Simple fouet, à gauche
Avancer et caresser l’encolure du cheval, à droite ; pousser vers la droite, cai et se baisser vers la gauche puis séparer les pieds vers la droite
Reculer et caresser l’encolure du cheval, à gauche ; pousser vers la gauche, cai et se baisser vers la droite puis séparer les pieds vers la gauche
Pivoter et donner un coup de talon, à gauche
Attraper le genou en faisant un pas, à gauche
Avancer, attraper le genou et frapper l’entrejambe avec le poing, à droite et à gauche
Se retourner, se baisser et faire levier à droite
Avancer et faire levier à gauche
Frapper avec le poing par-dessous le coude, à droite
Coup de talon, à droite
Se retourner et caresser le dos du cheval, à droite
Se baisser et frapper le tigre à gauche
Tourner et frapper le tigre à droite
Lu et donner un coup de talon à droite
Le double vent transperce les oreilles, à droite puis à gauche
Lu, tourner et donner un coup de talon à gauche
Tourner et terrasser le tigre, à droite
Avancer, cycle Yin-Yang de coups de pied
Peng et frapper avec le poing, fermeture apparente, à droite puis à gauche
Croiser les mains
Reporter le tigre à la montagne (2 fois)
A répéter tous les jours, aux aurores – pourquoi met-on « aurores » au pluriel d’ailleurs, nous lèverions-nous sur plusieurs planètes en même temps ? –, et le monde de la culture devrait bien se porter pour les six prochaines années !
Sinon, avant-hier, un titre d’article a attiré mon attention. Dans un contexte où chaque pays gère son sort en vase clos, frontières fermées à la clé pour une durée indéterminée, j’ai trouvé qu’il y avait là un bel espoir que certaines choses évoluent. Le titre ? « En mémoire de la Grande Famine, les Irlandais au secours des Amérindiens touchés par le Covid-19 » (1). J’apprends tout, ou presque, en lisant cet article relayant cette étonnante et heureuse solidarité qui défie le temps et l’oubli : la Grande Famine en Irlande en 1845, due au mildiou, qui a fait plus d’un million de morts entre 45 et 52 ; la migration de 2 millions d’irlandais vers des contrées moins hostiles ; l’élan de solidarité international face à « l’une des premières crises alimentaires médiatisées ». Elan auxquels ont participé les Choctaws, une tribu améridienne du sud-est des Etats-Unis en faisant un don de 170 $ à l’époque (l’équivalent de 5 000 $ aujourd’hui). Comme les Choctaws l’expliquent eux-mêmes sur leur site (2), ce don était en partie motivé par l’exode forcé que la Nation avait elle-même subi quelques années auparavant, obligeant, dans le contexte de l’Indian Removal Act, 20 000 personnes à abandonner le Mississipi pour rallier Oklahoma pendant que leurs terres étaient transmises à des colons européens. Cette transhumance de près de 1 000 km a été baptisée Piste des larmes (Trail of tears). Un geste que n’ont pas oublié les Irlandais et qui a scellé des liens indéfectibles entre les deux groupes… Et aujourd’hui, alors que les nations Navajo et Hopi sont parmi les populations les plus touchées aux Etats-Unis du fait de leur grande précarité et ont lancé une campagne de dons pour organiser leur prise en charge locale – les Amérindiens ne seraient par ailleurs pas tous comptabilisés dans les statistiques du covid-19 –, des Irlandais ont choisi de leur rendre la pareille, et ainsi de tendre la main comme l’avaient fait les Choctaws il y a 170 ans.
Cette histoire où aujourd’hui et hier se recroisent m’en rappelle une autre qui, il me semble, est un peu plus ancienne, même si elle fait écho à une histoire plus récente. D’ailleurs, sans cette dernière, je n’aurais peut-être pas prêté attention à celle que je viens d’évoquer. (…) Voilà, je l’ai retrouvée ! Début avril, de nombreux Taïwanais ont répondu à l’appel aux dons du Père Giusepe Didone pour aider son pays d’origine, l’Italie, qui, comme vous le savez, a été très durement touchée par le coronavirus. A priori, près de 4 millions d’euros ont été récoltés en très peu de temps à travers 20 000 dons. Pourquoi cet élan de générosité ? Tout simplement pour remercier le Père Didone, 81 ans aujourd’hui, installé à Taïwan depuis 1965, toujours en activité, de tout ce qu’il a fait pour le pays : créer des centres de santé destinés à accueillir des personnes en situation de handicap intellectuel, contribuer à créer des hôpitaux alors que le système de santé taiwanais était encore balbutiant, accompagner les pauvres… (3)
Voilà deux gestes incroyables de générosité et de solidarité, initiés par des groupes de personnes et non des Etats, qui défient à la fois les frontières et le temps, qui, d’une île à un continent et vice-versa, honorent l’Histoire – que l’on n’oublie pas systématiquement mais qui se répète souvent – et nos Ancêtres – toujours vivants, dont la mémoire et les actes nous accompagnent d’une manière ou d’une autre, et nous rappellent, à nouveau, que nous sommes tous liés par-delà l’espace et le temps.
Et je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée émue pour les 26 230 personnes décédées en France – assurément bien plus ; 269 068 à l’échelle mondiale – depuis le début de l’épidémie (4), presque réduites à des chiffres égrainés et scrutés chaque jour, parties seules, sans que leur famille ne puisse les accompagner, leur dire au-revoir, ni les voir une dernière fois, sans qu’ensuite, les rituels associés à certaines religions puissent être accomplis, qu’une cérémonie digne de leur vie puisse être organisée et que les rares présents puissent s’épauler, se prendre dans les bras, se soutenir, sans qu’ensuite, les familles puissent aller se recueillir au cimetière. Espérons que des célébrations posthumes et post-confinement pourront être organisées, pour faciliter le travail de deuil des familles mais aussi aider ces âmes à filer peut-être plus sereinement vers d’autres cieux.
Mount Cook Village, South Island, NZ – Au pied d’un monument érigé en mémoire de celles et ceux qui ont péri dans ces montagnes…
Coralie s’amuse que je continue à suivre les actualités d’un pays désormais à 20 000 km de moi et qui restera sans doute à cette distance encore longtemps. Je trouve cela plutôt sain de toujours penser à un endroit qui m’a accueillie plusieurs mois, qui m’a subjuguée par sa beauté et sa diversité, et qui, à l’heure où l’angoisse et le stress étaient sans doute les sentiments les plus partagés à l’échelle mondiale, m’a permis de vivre cette pandémie dans un état de grande sérénité – d’abord, soyons honnête, car l’île a été épargnée jusqu’à la deuxième moitié de mars, puis ensuite, car le confinement instauré, certes strict, n’était pas pesant. Alors, oui, je continue à suivre les actualités de la Nouvelle Zélande.
Mais aussi celles d’autres pays. Sans doute est-ce naturel après avoir autant vagamondé. Un néophotologisme que j’ai inventé il y a bientôt deux ans, venant s’inscrire à la lettre V d’un abécédaire en cours, qui consiste tout simplement à « vagabonder à la surface du monde par tous les moyens possibles et sans autre but que de se nourrir et de s’émerveiller de l’altérité, qu’elle soit philosophique, géographique, ethnologique ou anthropologique. Ainsi, écrivais-je à l’époque, je vagamonde avec un bonheur sans cesse renouvelé qui appelle au départ constant ». Avoir autant vagamondé, donc, sur tous les continents qui plus est, rend le monde sans doute un peu plus petit, en tout cas, moins abstrait, et rapproche indéniablement du sort des autres. D’autant que l’autre, c’est moi, puisque tout est connecté.
Ce matin, en sortant, j’ai vu passer un avion dans le ciel. Son panache blanc est venu strier son bleu intact avec une certaine volupté. Dans le parc voisin, où l’herbe a poussé sans être piétinée, où les fleurs se sont fanées sans être admirées, où les arbres ont retrouvé leurs feuilles sans être câlinés, les gardiens se sont retrouvés pour discuter du 11 mai. Les affaires reprennent. Au bout de ma borne or so, il y avait un cygne blanc dans l’eau. Même deux. Nous n’étions jamais allées jusqu’à la Seine jusqu’à présent car elle se trouve à 1 kilomètre 2. « Ils sont là tous les jours » a lancé un marcheur sans s’arrêter. Respiration. Sourire. Joie, simple. Depuis le bord de l’eau, la façade d’après est à 250 mètres. Autant dire, à l’autre bout du monde. Tout est si près en ville, surtout avec ces immeubles de 6, 7, 8 étages voire plus. Si encore, tout s’arrêtait à 4, nous pourrions tous voir le ciel et le lointain… De l’eau a coulé sous les ponts. La péniche Sperenza est même passée par là. Comme par hasard. Mais le hasard n’existe pas. Il n’y a que des signes. Ou des cygnes. Vous voyez bien…
Un peu plus tôt dans l’après-midi, chacune à un bout du pays, Les 4 Saisons ont repris vie. Je veux dire par là, que pour la première fois depuis fin 2019, nous nous sommes regardées, pour évoquer l’après. « Tes cheveux ont poussé », « ça te va bien », « tu ne les as jamais eu aussi longs si », « bientôt la petite jupe et les hauts talons ». Faut pas rêver ! C’est ensemble que nous avons débuté ce rituel quotidien il y a 50 jours déjà, à notre manière, c’est-à-dire, incroyablement unies tout en préservant, respectant et admirant l’unicité de chacune, comme nous le faisons depuis la création de notre collectif. Avec nos mots, nos images, nos questions, nos joies, nos peines, nos réflexions, nos découvertes, nos tergiversations, nos silences, nos cris, nos rêves, nos impasses, nos émotions, nos introspections, nos évasions, nos voies, nos voix… (1) Que chacune avons suivi au jour le jour. C’est ensemble que nous nous demandons aujourd’hui quand nous nous arrêterons – la fin du confinement n’étant pas une fin en soi – et aussi, ce que nous ferons de ces états d’âme. Un livre, quatre livres ? Allez savoir.
Sans aucun doute, cette crise nous aura rapprochées. Et j’en suis très heureuse. Car cela aurait pu être le contraire. Comment anticiper en effet notre réaction face à l’inédit ? Plus largement, ce méta-événement nous fera-t-il revoir nos amitiés passées ? Ont-elle résisté à tout ce qui nous a bousculés et (pré)occupés ces dernières semaines ? Ont-elles résisté à l’absence et à la distance ? Finalement, allons-nous craindre de nous retrouver ? Et même vouloir ? La question pourrait se poser. Si d’un côté, nous avons réalisé que nos besoins matériels n’avaient pas à être aussi gonflés, quid de nos besoins humains ? Au fond, qui nous a manqué ?
C’est étrange, il semblerait que le déconfinement fasse plus peur que le confinement. Comme si, bien qu’au départ, c’est l’enfermement qui nous effrayait, nous avions désormais plus peur d’être dehors que dedans. Ou plutôt, dehors avec les autres. Malgré Aristote, qui proclamait déjà dans une très très lointaine galaxie, que l’homme était un animal social. Voilà un retournement de situation presque inattendu. Mais qui n’aurait sans doute pas déplu à Pascal, Rousseau ou même Sartre, le premier estimant que l’homme est surtout seul, le deuxième, que la société corrompt l’âme humaine et le dernier, que l’enfer c’est les autres… Voilà qui est bien pratique avec la philosophie : nulle vérité, que des opinions – argumentées bien sûr – que l’on peut adopter au gré de notre humeur, naturellement changeante.
Sans doute sentons-nous que ce qui se profile à l’horizon – cette fameuse ligne qui s’éloigne au fur et à mesure que l’on s’en approche – est aussi flou que le reste, que cette date du 11 mai est finalement un peu arbitraire, qu’elle ne signifie en rien que tout est résolu, bien au contraire, ni que tout est prêt pour ceux qui vont pouvoir reprendre le chemin de l’école, du bureau, du chantier, de la boutique, du cabinet…, mais surtout qu’il est l’heure de relancer la machine – si besoin, il y a à nouveau de la place dans les hôpitaux –, et puis, de toute manière, il faut bien y aller. Ce statu quo ne peut pas durer éternellement. Certes.
Chacun, bon an mal an, est donc en train de s’organiser pour la reprise, moyennant une foultitude de recommandations / consignes / directives / obligations à respecter avant de penser retourner la petite pancarte « Fermé pour cause de covid-19, réouverture à une date ultérieure, les caisses sont vides, d’ici là portez-vous bien ! ». Dans ce contexte pré-libération, j’ai discuté hier avec une orthodontiste avec qui je travaille depuis plusieurs années pour des missions de rédaction (d’ailleurs, si vous avez des besoins, quels qu’ils soient, je suis à vous : ne soyez pas timides, et ayez confiance, je peux écrire avec autant d’enthousiasme que pour mes propres textes sur les pompes funèbres, le sourire idéal, le mobilier commercial ou encore le microbiote ! A cela, s’ajoutent bien entendu mes photographies, qui peuvent également habiller vos murs…).
Quel casse-tête pour ces professionnels en contact direct avec la bouche de leurs patients ! Elle ne se plaint pas, elle s’adapte : installer une machine à laver directement dans le labo pour nettoyer les blouses sur place ; acheter des grands sacs en papier pour que les patients y mettent leurs affaires personnelles et ne posent rien sur le sol, ni sur les chaises, ni dans l’armoire collective, ni sur le bureau ; trouver une solution pour leur masque qu’ils ne pourront retirer qu’une fois bien assis dans le fauteuil ; s’équiper de masques à visière pour soigner en toute sécurité ; réorganiser les journées de travail pour éviter aux assistantes, habitant loin, de prendre les transports aux heures de pointe… Il faut ainsi visualiser l’enchaînement de toutes les actions réalisées avant, pendant et après un rendez-vous pour en identifier les faiblesses potentielles et les solutions à prévoir en amont. La liste est longue et, évidemment, évolue chaque jour.
Cette logistique extrême, ce réaménagement minutieux qui se met en place pour une durée indéterminée et nécessite de revoir toutes ses pratiques devrait faire diminuer le niveau d’anxiété et de peur. Car, comme le rappelle le politologue Dominique Moïsi, « vivre sous l’emprise de la peur, c’est non seulement s’inquiéter du présent, mais attendre plus de dangers encore du futur. La peur est l’inverse absolu de l’espoir, émotion dans laquelle le futur ne peut qu’être plus radieux encore que le présent » (1). Et j’insiste lourdement en citant à nouveau le philosophe Patrick Viveret : « Derrière tous les phénomènes de dominations et de captations, vous trouvez de la peur. Le désir c’est le contraire de la sidération. Le premier élément, c’est de retrouver une énergie du désir, c’est-à-dire une capacité de débloquer l’imaginaire qui permette effectivement de redire : “oui d’autres voies, d’autres mondes, sont possibles”. Nous avons besoin de nous remobiliser du côté des forces de vie. Et à ce moment-là, la capacité à opposer au couple des mesures « mal être et mal de vivre » un autre couple qui est celui de la simplicité et de la joie de vivre, devient un acte de résistance politique. Quand les systèmes de domination sont fondés sur le malheur et sur la maltraitance, choisir d’être heureux, c’est un acte de résistance. » (2) Voilà, c’est clair, net et précis !
Ce qui nous amène au monde de demain, ou plutôt, puisque là aussi, c’est devenu la formule consacrée, « Le Monde D’Après », LMDA pour les plus pressés ! J’ai l’impression que nous n’avions jamais utilisé cette expression auparavant. En tout cas, pas autant, et pas de mémoire de ma courte vie de quarantenaire. Face à un événement global tel que celui-ci, cela a à la fois du sens – pour le philosophe Roger Pol-Droit, bien plus âgé que moi donc plus à même de peser ses mots, « jamais peut-être il n’y a eu une expérience intime et mondiale d’une telle ampleur » (3), expérience qui nous rapproche les uns des autres – et absolument aucun sens – tout comme il n’y a pas une réalité mais des réalités, il n’y a pas un monde mais une pluralité de mondes, et je ne pense pas, là, à celle évoquée par Guillaume d’Ockham au Moyen-Âge. Il suffit en effet de réaliser à quel point chaque pays a vécu et vit cette pandémie en cours de façon singulière – selon sa densité de population, son système de santé, sa situation géographique, son régime politique, ses dirigeants, ses habitudes culturelles, peut-être même son climat, son rapport au pouvoir, sa conscience sociale… – pour comprendre que parler d’un monde est réducteur, illusoire et tout autant légitime. Jamais, donc, nous n’avons attendu demain avec autant d’impatience, d’espoir, mais aussi de crainte, ne nous leurrons pas. Par curiosité, j’ai lancé une requête internet sur la formule « le monde d’après » (4), entre guillemets pour que l’expression ne soit pas tronquée. Résultat ? 6 720 000 résultats. C’est dire l’engouement pour ce qui se prépare ! Puis-je l’utiliser comme une sorte de baromètre ? Allez, quelques uns en vrac : « La Chine va-t-elle dominer le monde d’après ? », « Et si c’était l’heure de tout réinventer ? », « Le « monde d’après » sera-t-il différent ? », « Le « monde d’après » est repoussé à plus tard… », « Ma crainte, c’est que le monde d’après ressemble au monde d’avant, mais en pire », « Le monde d’après aura un goût d’ancien monde », « McDo et le monde d’après », « S’inspirer des films pour penser le monde d’après », « Inventons ensemble le monde d’après », « Mais à quoi va ressembler le monde d’après ? », « Le monde d’après, mais après quoi ? », « Les paradis fiscaux et le monde d’après », « Et si le monde d’après existait déjà dans le monde d’aujourd’hui », « Flammarion jeunesse invite les enfants à dessiner le monde d’après », « Le monde d’après, c’était mieux avant ! », « Une révolution écologique et sociale pour construire le monde d’après », « Le monde d’après, une illusion ? », « Or le monde d’après sera féminisé ou ne sera pas », « Le monde d’après sera profondément impacté par une révolution numérique qui vient tout juste de commencer », « Le « monde d’après » n’a jamais été aussi proche », « Nous refusons que le « monde d’après » se décide dans la boîte noire institutionnelle ». Et plein d’autres donc… Tout cela, je me dis, qu’à nouveau, ce sont des idées, des projections abstraites, des exercices de pensée et qu’au fond, il est évidemment trop tôt pour savoir.
Et puis, il y a cette consultation, ouverte depuis le 10 avril et jusqu’au 25 mai, que je découvre aujourd’hui, organisée conjointement par La Croix-Rouge française, le WWF France, Make.org, le Groupe SOS, Unis-Cité et le Mouvement UP qui nous invite « à répondre à cette question cruciale : « Crise Covid-19 : Comment inventer tous ensemble le monde d’après ? » (5). Depuis le 10 avril donc, les gens, nous donc, peuvent faire des propositions sur divers sujets (listés par ordre décroissant de propositions, ce qui donne aussi une idée des priorités des proposants) : protection de l’environnement (3903 propositions), alimentation et agriculture, emploi et salaire, transport et mobilité, démocratie et institutions, politiques économiques, santé, écoles, emballages et déchets, solidarité, fiscalité et impôts, énergies, Europe, logement, digital et numérique, services publics, allocations et aides (100 propositions). Les plus plébiscitées par les votes seront rassemblées dans un Agenda citoyen que les initiateurs de la consultation transmettront à qui de droit « pour construire ensemble le monde de l’après-crise ». Développer l’agroécologie et les circuits courts, réduire les lumières des villes et éteindre les enseignes commerciales, tendre vers le zéro déchet, revoir les possibilités de télé-travail, relocaliser au maximum les produits de première nécessité, garder une indépendance face aux besoins en énergie, santé, emploi ; sauver l’hôpital public ; éduquer les enfants dès la maternelle avec des programmes spécifiques à la protection et à la sauvegarde de la vie sur Terre sont, pour l’heure, les idées les plus populaires. Vous penserez peut-être, un peu comme moi par moments, que c’est un peu comme les documentaires, ce type de consultation prêche des convaincus. Mais, quand bien même, il faut bien commencer quelque part. Et même si ces propositions restent lettre morte auprès des décideurs – l’histoire nous a montré qu’il fallait envisager cette possibilité –, ce sont autant d’idées qu’à petite échelle, nous pouvons tenter de mettre en œuvre… Un peu comme les colibris de Pierre Rabhi, par lequel je conclus aujourd’hui : « Si chacun de nous fait le peu qu’il peut avec conviction et responsabilité, je vous assure que l’on fera énormément ».
Peut-être l’avez-vous remarqué mais j’ai beau être rentrée depuis bientôt deux semaines, j’ai finalement très peu illustré ces textes quotidiens par des images réalisées depuis. Pourtant, lors de mes sorties, qui, elles, se sont espacées – par deux fois, je n’ai pas ressenti le besoin de sortir pendant 2 jours de suite –, j’ai bien mon appareil photo en bandoulière, prête à déclencher le cas échéant. Je ne le fais que très rarement. Car, comme je l’ai écrit la semaine dernière, c’est le côté oppressant et contre nature de la ville que je continue à voir depuis mon retour. Et c’est ce qui finit par entrer dans ma boîte – encore que, finalement, je me suis aussi rapidement épargné ce genre d’images : des photos de chantiers d’immenses bâtiments aux façades éventrées laissant voir leurs entrailles climatiques, électriques, aqueuses en cours de greffe, des tubes, du métal, du béton et du verre partout, comme des corps malades et encore inertes, raccordées à une vie artificielle, alors qu’en Ile-de-France, il y avait, fin 2018, déjà 3,2 millions de mètres carrés de bureaux vides (1). Certes, depuis quelques années, face à cette ineptie, les programmes de transformation d’une partie de ces espaces vacants en logement se multiplient, mais le plus simple ne serait-il pas de s’interroger en amont sur la pertinence de lancer de tels chantiers ? Par conséquent, je ne veux pas utiliser ces photos. Ceci dit, peut-être serait-ce l’occasion de le faire aujourd’hui. Nous verrons à la fin de l’étape d’écriture, c’est en général à ce moment là que je réfléchis à la photo que je vais utiliser.
Dans la continuité de cette remarque, quand je lis que les plages sont toujours fermées et le seront peut-être jusqu’à cet été – on peut pourtant se sentir très très seul sur les immenses plages atlantiques –, que les chemins, sentiers, forêts, parcs, lacs, rivières le sont aussi, que des drones et des hélicoptères sont mobilisés pour traquer, en collaboration avec des motards au sol, les randonneurs en montagne – entre 816 et 1690 € de l’heure de vol d’un hélicoptère selon le Sénat soit a minima entre 6 et 13 contraventions par heure si l’on part du principe, faux, que là se limitent les coûts (2) –, j’ai l’impression que c’est la Nature elle-même qui est visée. La Nature, qui n’est pas unique loin s’en faut, dans ce qu’elle offre de liberté, de bien-être, de joie, de respiration, de fuite aussi, où l’on se promène, médite, se repose, contemple, se détend, se ressource, observe, ressens, se reconnecte à plus grand que soi, au sacré, se réfugie, aime, s’éveille, s’initie…
« Aucun homme n’a jamais imaginé à quel point le dialogue avec la nature environnante affectait sa santé ou ses maux » écrivait Henry David Thoreau (le revoilà !). Ces derniers mois, combien de livres, d’expositions, de conférences, sur les bienfaits de la Nature en général, des arbres en particulier ? Combien de recherches, sérieuses, se concluant par le fait que notre santé est intimement liée à notre rapport à la Nature, que ses bienfaits augmentent avec le temps passé à l’extérieur (à partir de 2h par semaine serait un minimum a priori) ? « Un rapport privilégié avec la Nature non seulement initie à une autre « façon » de la voir (Gould, 2001), mais surtout constitue une rencontre avec soi-même (Ormiston, 2003), un retour sur soi bénéfique. Il permet dans certains cas une véritable transformation de soi » écrivaient en 2011 les sociologues Stéphanie Chanvallon et Stéphane Héas (3). L’accès à la Nature, « responsable » bien sûr – c’est le nouveau mot à la mode –, alors que nous traversons une situation d’enfermement non naturelle, ne serait-ce pas un moyen de nous aider à mieux la vivre ? Sous prétexte qu’un éventuel accident mobiliserait des moyens logistiques plus utiles à la lutte contre le coronavirus, l’Etat percevrait donc cette Nature – pas plus dangereuse qu’une casserole d’eau bouillante renversée sur le visage ou qu’une malencontreuse rencontre avec un camion sur un passage piéton – vers laquelle nous tendons instinctivement, comme une menace. Pourquoi ? Est-ce « juste » de l’infantilisation, car les Français ne savent pas se tenir ? Y a-t-il une volonté calculée de ne laisser aucun répit aux citoyens en leur interdisant ces évasions salutaires ?
Je m’étais pourtant encouragée à essayer de ne pas chercher à comprendre ce qui, de mon point de vue, n’avait pas de sens… Mais pas de m’interroger, donc tout va bien ! Je cherche cependant des références historiques et solides allant dans le sens de l’hypothèse que cette conjonction d’interdictions me fait formuler, à savoir cette perception négative et quasi subversive de la Nature par l’Etat de droit. La Nature, par opposition – simpliste et rapide – à la ville, dans les fictions, c’est l’endroit où se réfugient les groupes de résistants, les rebelles qui veulent échapper au pouvoir autoritaire et dictatorial en place, à un système sans valeur à leurs yeux, d’où ils renaissent ou organisent la riposte. Des exemples de genres très variés ? Fahrenheit 451,Les fils de l’homme, The Lobster, Robin des bois, Captain Fantastic… En quête d’une référence sur Minority Report, l’adaptation faite par Spielberg d’une nouvelle de Philip K Dick, je relis des passages de mon mémoire rédigé il y a 15 ans sur la représentation des manipulations génétiques et du clonage dans le cinéma américain de 1986 à 2005, et la façon dont ils questionnent l’humanité. Un prétexte, presque, pour me pencher sur un tas de sujets satellites comme le profil des sociétés dans lesquelles ces histoires émergeaient, la montée des inégalités sociales, les rapports homme-femme, les relations entre science et religion, la virtualisation des rapports humains au service d’une manipulation collective, la désexualisation purificatrice et prophylactique de la société… et il me semble que je parcours un livre d’Histoire, tant tout ce que j’y décris – sur la base de mon corpus de films de l’époque donc – s’est vérifié depuis… Je connais la force et la puissance de l’anticipation mais c’est toujours surprenant de constater à quel point l’humanité semble suivre un scénario déjà écrit depuis longtemps.
Ah voilà une piste intéressante (merci Coralie !). Dans l’essai « Fugitif, où cours-tu ? », l’anthropologue Dénètem Touam Bona écrivait en effet : « la forêt est un espace strié de toutes parts, mais ses stries sont celles du zèbre, celles d’une tenue de camouflage. Longtemps, les forêts européennes abriteront proscrits, brigands, outlaws (figure de Robin Hood), bandes et minorités en rupture de ban, de sorte qu’en Occident la lutte contre les illégalismes et jacqueries populaires prendra souvent la forme d’une déforestation » (4). En est-on toujours à raser les forêts pour y voir plus clair et traquer les hors-la-loi, comme tendrait à nous le faire penser la manière dont les pouvoirs publics appréhendent les ZAD ? La réponse est-elle dans la question ?
C’est étonnant comme certains mots venant innocemment à l’esprit se révèlent être en fait des pistes de réflexion. J’ai de fait envie de remercier les énergies passagères pour celui-ci, rebours. Tout est parti d’aujourd’hui. Lundi 4 mai. Je me dis, soulagée mais pas vraiment pour tout vous dire : « ouf, plus qu’une semaine avant la libération ! ». Je pense au décollage d’une fusée, ignition 7, 6, 5, 4… mais j’ai déjà usé de la métaphore spatiale et au même titre que je n’aime pas faire demi-tour en empruntant le même chemin, je préfère éviter les redondances stylistiques (j’en fais quand même). Ce qui me conduit à sa signification, le « compte à rebours » – il y en aura eu beaucoup ces dernières semaines bien que nous ne soyons allés nulle part –, dont je supprime rapidement le premier mot, pour me contenter d’« A rebours »… Cela fait instantanément écho au livre éponyme de JK Huysmans, que, il me semble, je n’ai pas lu, ou en tout cas pas entièrement, mais qui m’est néanmoins familier car ma mère, une grande lectrice, m’en a parlé à plusieurs reprises. Ainsi, poussée par la curiosité, je lance quelques requêtes pour rafraichir ma mémoire…
Jean des Esseintes, l’anti-héros du roman de Huysmans publié en 1884 – je vais finir par croire en une symbolique du nombre 84 – était-il un confiné volontaire avant l’heure ? « Esprit désabusé de la fin du XIXe siècle » (1), dégoûté de l’humanité après une vie bien remplie et décadente, il se retire en effet dans une maison à Fontenay, où il vit seul avec ses livres, ses peintures, ses parfums, son jardin, ses voyages imaginaires en quête d’une sorte de perfection intérieure, qu’a priori, il n’atteindra pas puisqu’il devra finalement retourner à la capitale pour soigner ses névroses, sa solitude et son ennui : « Dans deux jours, je serai à Paris ; allons, […], tout est bien fini ; comme un raz de marée, les vagues de la médiocrité humaine montent jusqu’au ciel et elles vont engloutir le refuge dont j’ouvre, malgré moi, les digues ».
Ah ah, suis-je en train de fantasmer le même voyage avec ce projet de migration annoncée ? Non, car la misanthropie n’est pas mon moteur, bien au contraire. Je n’ai pas encore évoqué Henry David Thoreau dans mes textes de confinement, qui, je l’ai récemment appris avec une certaine surprise, se rendait à Concord, la ville où habitaient ses parents et ses amis, tous les jours ou quasi quand il vivait dans sa fameuse cabane, celle de « Walden ou la vie dans les bois », mais je pense à lui et m’inscris plus dans sa démarche.
Donc, dans une semaine, a priori, car tout peut encore changer si les chiffres ne sont pas bons, si les indicateurs ne passent pas au vert, digues et frontières seront ouvertes en France. Nous pourrons étendre notre territoire (mais pas trop quand même), retourner au travail (mais pas tout le monde), reprendre le métro (mais pas aller à la plage), sortir sans attestation (mais ce sera quand même contrôlé), remettre les enfants à l’école (mais pas tous non plus)… D’ailleurs, je me demande sincèrement ce qui restera de cette curieuse période, loin d’être finie, dans leur mémoire. Qu’en ont-ils compris, comment l’ont-ils vécue, quelle traces laissera-t-elle sur leur parcours ?
Et comment vont-ils vivre leur éventuel retour à l’école la semaine prochaine et dans quelles conditions ? Ah, sur ce point, je me permets de partager une partie du mail qu’une amie a récemment reçu de l’école primaire de son fils : « Au-delà de la sécurité, une journée « d’école » le 12 mai ne ressemblera en aucun cas à l’école d’avant le confinement. Ce sera avant tout une journée d’accueil des élèves qui sont prioritaires. Elle sera contraignante pour les enfants, les familles, les personnels et les enseignants vues les règles sanitaires à respecter. En classe, les enfants seront assis seuls, en rangs (sans se faire face) à une table attribuée à laquelle ils resteront toute la journée à distance des autres enfants et de l’enseignant. L’enseignant ne pourra pas aider les enfants à moins d’un mètre de distance pour répondre aux difficultés scolaires ni corriger les cahiers avec les enfants.
Tout contact sera proscrit (le contact qui rassure, sécurise, protège et soigne).
Les enfants seront confrontés à des rappels constants aux règles sanitaires de la part des adultes voire à des sanctions s’ils ne respectent pas les gestes barrières et les distances de sécurité en « récréation » comme en classe.
Il faudra faire comprendre aux enfants que tout ce qu’ils font habituellement est potentiellement dangereux : prêter un crayon à son camarade, jouer ensemble, aider son ami qui est tombé, chuchoter à l’oreille, donner la main à un camarade de classe pour se mettre en rang …
Les enfants n’auront pas non plus accès au matériel collectif de la classe : livres, jeux mathématiques ou de la classe, ballons, petit matériel de manipulation d’apprentissage, matériel de sport. Les jeux collectifs et de contact seront interdits, les passages aux toilettes règlementés, de même que le lavage des mains répété à de nombreuses reprises tout au long de la journée. Les parents devront expliquer et préparer psychologiquement toutes les contraintes et faire répéter les gestes barrières essentiels ».
Clairement, l’après ne ressemblera pas à l’avant. Et je suis bien contente de ne pas avoir à retourner à l’école la semaine prochaine ! La simple lecture de ce message me déclenche presque une crise d’angoisse, alors même que je ne suis plus une enfant et que je n’en ai pas ! Qui seront donc les parents indignes qui y abandonneront leurs enfants dans ces conditions de terreur, d’anxiété et de culpabilisation que tous les pédo-psychiatres disent nécessaires d’éviter en cette période déjà bien chargée émotionnellement ? Nouvelles règles de conduite qui semblent, par ailleurs et « heureusement », totalement inapplicables par les institutrices/teurs et autres personnes impliquées, et dont la seule justification semble être de dissuader tout retour à l’école avant septembre…
La situation est d’une complexité inédite, ce message n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce que nous recevons individuellement ou collectivement ces jours-ci concernant la suite des événements car des priorités incompatibles se télescopent – relancer l’économie rapidement et assurer la sécurité des citoyens –, ce qui se traduit par un magma de recommandations contradictoires et/ou irréalistes – 10 mètres de distance entre deux joggeurs ou deux cyclistes ; 1 mètre d’intervalle entre passagers dans le métro ; 15 élèves autorisés par classe mais pas de rassemblement de plus de 10 personnes… – faisant dire à certains que nos politiques ne vivent décidément pas sur la même planète que nous. Alors que l’hypothèse de l’existence d’une vie extraterrestre est formulée depuis l’Antiquité par Epicure ou encore Lucrèce, que les astronomes et exobiologistes sondent l’espace en quête de preuves depuis quelques décennies grâce à des outils technologiques de plus en plus puissants, je prends cela pour une nouvelle historique ! Comme souvent, nous ne regardions pas où il faut ! Reste que j’aurais sans doute préféré un contact avec une civilisation plus avancée…
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Share on FacebookCela partait pourtant d’une bonne intention : mettre un peu de nature et de verdure dans cet univers ultra urbain où la terre est devenue invisible et où le macadam qui la recouvre l’empêche de respirer et l’étouffe. Mais il faut croire que la maîtriser, la canaliser, la dresser – la nature – pour ne pas […]
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