Photo-graphies et un peu plus…

Comme un goût d'inachevé

J’avais déjà observé cet étrange phénomène, certes dans des proportions bien plus modestes, il y a quelques années, en déambulant la tête en l’air dans le port de La Vallette. Et j’avais fini par l’oublier, l’envoyant prestement dans ma petite boîte aux bizarreries architecturales glanées de ci de là. Un artefact en quelque sorte. Sans précédent ni suite, jusqu’à ce fameux 3 mars…

Autant dire que j’ai eu la sensation de trouver une belle perle d’Akoya au creux de ma dernière Pinctada fucata lorsque, en balayant du regard les rues du quartier cossu de Miraflorès à Lima, je l’ai senti s’attarder plus que de nature sur une singulière façade. Béton, vitre aux premiers étages. Jusque là, tout allait bien. C’est ensuite que cela se compliquait, alors même que deux éléments apparaissaient bien clairs : cet immeuble était indubitablement inachevé, et cette situation n’avait pas empêché plusieurs familles de s’y installer, d’y vivre, de faire pousser yukas et autres plantes sur leurs balcons, tandis que les étages supérieurs, bruts de décoffrage, étaient ouverts aux quatre vents. Une occupation inimaginable sous nos latitudes ultra-réglementées…

Et alors, à nouveau – je fais ici écho au sort de mon arbre de pierre d’hier – les questions se sont multipliées et pressées aux portes de ma conscience, lançant chacune des « moi », « moi », « moi » pour se faire remarquer et que je leur donne la parole en premier. Un peu comme une meute de journalistes à une conférence de presse de Barack Obama ne disposant d’aucune information concrète à délivrer… Bref, après une hésitation millimétrée, j’ai désigné, de l’index, une première question, trop fière évidemment et malheureusement bredouillante :

« Mais, mais, pourquoi ? »

« Suivante ! Vous, là-bas. »

« Est-ce ainsi que poussent et se remplissent les immeubles par ici, appartement après appartement, raccordement après raccordement ? Ce n’est pourtant ni logique, ni pratique, ni sécurisant, ni économiquement intéressant… »

« Vous voyez bien que non et que, partout autour de vous, les autres bâtiments sont finis et en bon état, ou, s’ils sont en construction, naturellement inhabités. »

« Alors, quoi ? C’est un squat où chacun est venu poser ses vitres ? »

« Le promoteur immobilier a-t-il fait faillite avant la fin des travaux, ne laissant d’autre choix à ceux qui ont tout vendu pour s’offrir un appartement de rêve au cœur de ce quartier chic, que de prendre possession de leurs appartements, quel qu’en soit l’état ? »

« Conscience ? Conscience ? Encore une question sans réponse s’il vous plaît ? »

Mais elle avait déjà tourné les talons, perdue dans ses pensées…

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En équilibre

La voilà, LA star du désert de Siloli, perchée à plus de 4 000 mètres d’altitude, seule au milieu de rien. On l’approche avec déférence, on lui ferait presque la révérence. En tout cas, on garde ses distances. Croyez-moi ou non mais la légende prétend que c’est le vent, sculpteur à l’âme salée, et ses caresses répétées inlassablement, année après année, décennie après décennie, même siècle après siècle, qui ont transformé ce qui n’était probablement qu’un quelconque bloc volcanique en cet arbre de pierre. Arbol de Piedra… C’est en effet ainsi qu’on le nomme aujourd’hui, sans doute pour marquer encore plus la désertion radicale de la végétation et l’aridité inhospitalière de cet altiplano bolivien au charme pourtant magnétique.

Il se dit même qu’il lui a fallu des millions d’années de patience et de travail acharné pour créer cette délicate et monumentale œuvre de 6 mètres au pied de laquelle les amateurs d’art et de l’extrême font une escale naturellement admirative et empreinte d’humilité. Et bientôt, ils s’interrogent : le miracle grâce auquel cet arbre dépourvu de racines tient encore debout durera-t-il éternellement ? En réalité, et ils le savent pertinemment, temps et vent poursuivent leur ouvrage par petites touches imperceptibles à l’échelle de leurs courtes vies… Et d’un coup d’un seul, ils se sentent chanceux de l’avoir croisé à ce moment-là de son existence, alors qu’il n’était plus un grossier caillou au milieu du désert et pas encore une star déchue, et à terre. Parfois, cela tient à peu de choses…

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En boucle

Arrêter de tourner en rond, en rond, en rond, et avancer, pour de « bond » !

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La tentation de l'île

Fuir, s’évader, s’éloigner, s’isoler, se sauver, s’éclipser, se retirer de cette obscure et incompréhensible folie humaine, au sommet d’une montagne, au bout d’une vallée, sur une île isolée, pour se détacher de tout, pour se détacher de tous, et vivre enfin en paix (avec soi-même), ce serait humain que de l’imaginer, non ? Oui, même si un peu lâche – ça m’a effleuré l’esprit très récemment -. Mais non en fait, car ce qui fait l’humain, c’est justement sa relation à l’autre. Aristote l’a écrit il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine, et on se le répète à l’envi depuis : « L’homme est un être sociable ; la nature l’a fait pour vivre avec ses semblables ». Certes, il faudrait définir plus précisément la notion de « semblable » et avoir l’esprit très ouvert et généreux, mais sans l’autre, l’homme ne l’est plus. Cette relation, il va donc falloir la travailler au corps encore et encore, et sans relâche.

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Résilience

Traverser une caldeira à pied se transforme rapidement en une fascinante leçon de vie et d’espoir. Car, là où la terre a tremblé, là où la lave a coulé et tout ravagé sur son passage, la vie trouve toujours une faille pour se développer, se multiplier et reprendre sa place… Quitte à ce qu’elle soit différente.

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Essaye encore une fois

Ce titre me fait penser à ma vieille Dictée Magique et à cette sentence synthétique s’en échappant dès lors que j’orthographiais mal le mot énoncé. Cet appel à la deuxième chance, voire plus, était d’ailleurs précédé d’un sec « C’est inexact », inopportun dans ce que je m’apprête à décrire. D’où son absence. J’ai longtemps tourné autour de cette photo en me demandant si je la supprimais ou pas, dans un premier temps de mon appareil, dans ce tri rapide et compulsif post prise de vue, puis, dans un second temps, de mon disque dur, dans un élan un peu plus réfléchi. Je l’ai conservée car elle me renvoyait une question posée ici-même il y a quelques années : une photo intentionnellement ratée est-elle, de fait, une photo réussie ? Retournement de situation dans le cas présent : une photo involontairement ratée peut-elle malgré tout être une photo réussie ?

Pour que cette photo là soit réussie, compte tenu de mon intention initiale, il eut en effet fallu que ce papillon, lui ou un autre d’ailleurs – oui, cette tâche noire floue que vous n’arriviez pas à définir depuis le début de votre lecture est un papillon – soit net et idéalement un peu plus gros. Ce n’est pas le cas, et ce n’est pas faute d’avoir essayé non plus. La photographie est une succession de tentatives dont certaines ne se soldent que par l’échec. C’est frustrant évidemment mais cela reste de l’ordre du possible voire du très probable dans certaines circonstances. Je vous énumère les principales : un sol mouvant – en l’occurrence, un bateau – ; une incapacité totale à anticiper l’entrée d’un papillon dans mon champ visuel requérant donc une attention et une réactivité records ; une fois l’objet volant identifié capté et captif, des changements incessants de trajectoire, devenant de fait totalement aléatoire, comme si elle était pensée pour échapper aux prédateurs les plus malins, et rendant très complexe, voire impossible, le suivi de son vol, a fortiori tout essai de mise au point ; et pour couronner le tout, du matériel inadapté à ce genre de défi…

Après moult déclenchements inutiles, j’ai donc tout effacé. Sauf celle-ci. Pour le souvenir. De mes ridicules gesticulations sur ce ponton de bateau se faufilant entre les pics karstiques de la Baie d’Ha Long, de ma naïveté également à croire que cette photo aurait pu être réussie, et surtout de ces interrogations liminaires à l’origine même de cet exercice de style et auxquelles je n’ai, pour l’heure, pas de réponse : combien de kilomètres les papillons peuvent-ils parcourir au dessus de l’eau ? Et s’ils sont fatigués, ce qui ne m’étonnerait pas à la lumière de leur vol erratique tout sauf optimisé, peuvent-ils se (re)poser sur l’eau pour reprendre des forces ? Et, enfin, où vont-ils comme ça ?

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Bleu à l'âme

J’ai cherché une idée, j’ai cherché une image et puis je suis tombée sur celle-ci et je me suis dit que ce serait celle-là. L’image de cette petite fille au bras tendu et à la main délicatement posée sur cette immense et épaisse vitre derrière laquelle se déploie un monde habituellement invisible. Et j’ai pensé : je voudrais que cette petite fille – vous, nous, moi -, qui devrait avoir la vie devant elle, puisse tranquillement continuer à observer ces milliers de petites bulles d’air remonter à la surface, à s’en s’émerveiller et, plus tard, à rêver d’ailes.

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Francophilie approximative

Quand, à l’autre bout du monde, on se retrouve face à un restaurant ou une boutique portant un nom en français alors même que le dialecte local lui est totalement étranger, on se laisse volontiers porter par une onde de chauvinisme tout en célébrant la puissance du rayonnement culturel hexagonal. Et si, le plus souvent, le nom est choisi à bon escient, il arrive aussi qu’il laisse dubitatif. Comme ici, avec cette boutique de chaussures d’une galerie commerciale de la gare d’Osaka étonnamment appelée « Cocue ».

Hypothèse spontanée : c’est une pure coïncidence ; ce n’est pas du français (qu’est-ce donc alors ?) et ce mot ne fait pas référence à l’infidélité qu’on lui prête sous nos latitudes. Mais cette hypothèse vacille assez rapidement : ne semblent en effet être vendues que des chaussures pour femmes, ce qui justifierait l’accord de l’adjectif. Par ailleurs, vous aurez certainement noté la couleur des murs – jaune -, qui nous renvoie instantanément à cette couleur imaginaire – le jaune cocu -, expression typiquement française faisant bien écho à une tromperie subie… Bref, tout porte à croire que ce « Cocue »-là est bien notre « cocue ». Reste à savoir qui les a mis sur cette étrange et étonnante piste. A moins que les gérants n’aient volontairement joué la carte du cynisme, teintée d’une once de misogynie, en appelant chaque femme dupée à se réconforter en trouvant nouvelle chaussure à son pied…

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L'éclat de verre

Certes, au volant, ce brillant et frontal soleil couchant peut être incommodant voire aveuglant. Mais je ne peux m’empêcher de le trouver touchant et troublant. Tel un coureur de fond convoquant ses ultimes ressources dans un héroïque sprint final avant de s’effondrer à l’abri des regards pour reprendre son souffle et repartir de plus belle, notre étoile – dont la désarmante banalité à l’échelle de la Voie Lactée tranche sensiblement avec le rôle absolument déterminant qu’elle a joué dans l’apparition de la vie sur notre petite planète bleue – lâche les rais les plus puissants et éclatants de la journée, ceux-là même qui redessinent le monde à coups de scalpel doré, avant de s’effacer rapidement sous l’horizon et de nous envoyer la nuit pour seule compagne… Avec ses milliards d’étoiles.

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Marquer à vie

Cela s’est passé à un feu tricolore. Niveau le plus élevé sur l’échelle du non-mouvement. Rouge. J’étais perchée sur mon fidèle destrier – 22 kgs tout mouillé -, celui-là même avec lequel je traverse la vi(ll)e les cheveux – courts – au vent, mon bien nommé Vélib – chaque fois différent certes -, et j’ai senti que c’était le moment idéal. Idéal pour dire ce que j’avais sur le cœur, annoncer à voix haute ce qui me trottait dans la tête depuis un certain temps, quand bien même cela allait en désarçonner plus d’un. Le pied droit posé au sol, la main droite figée sur le frein, je me suis donc tournée et j’ai lancé, le plus sereinement et sérieusement possible :

– Je crois que j’ai envie de me faire tatouer.

J’avais réussi à énoncer ma phrase d’une traite et sans bafouiller. Et j’en étais étrangement fière. Dire les choses est parfois aussi complexe que de les réaliser.

Silence parmi les cyclistes. Puis rire. Et réplique.

– On dirait que tu fais un coming out !

Vert. Voilà, je venais donc de faire mon coming out de tatouage ! Moi, moi qui n’avais jamais souhaité la moindre intervention sur mon corps susceptible d’en altérer l’intégrité, tout d’un coup, ou presque, je souhaitais me faire tatouer. C’est-à-dire faire apposer des marques indélébiles sur ce sanctuaire. Mon aveu rendu public, plusieurs questions restaient néanmoins en suspens : pourquoi, où, par qui, quoi et quand ? Le « pourquoi » est une question fondamentale intimement liée au « par qui ». Ainsi, sans la rencontre – virtuelle seulement – avec le sublime et subtil travail de Roberel, l’idée même de me faire tatouer aurait glissé sur ma peau comme une goutte de pluie sur une feuille de nénuphar, autrement dit, sans laisser de trace. C’est donc là le point de départ d’une envie, d’un revirement de situation.

Mais si l’envie insinue le doute, la mise en évidence d’une raison vient lui donner plus de corps, plus de crédit en quelque sorte. Et cette raison me semble être à la fois politique et humaine, si tant est que cela ait un sens. Car cette soudaine envie de me faire tatouer, aussi étrange que cela puisse paraître, y compris à mes yeux, est née d’une réaction épidermique face au sort des réfugiés risquant leur peau pour une vie meilleure, face à ces inégalités de naissance contre lesquelles il peut sembler utopique ou naïf de lutter…
Tout d’un coup, j’ai eu envie de faire graver sur ma peau, dans ma chair, et de façon irréversible, cette idée que j’étais un être humain ; que je vivais sur une magnifique planète que je partageais avec des milliards d’autres êtres humains comme moi ; qu’ensemble, nous formions l’humanité, et que cette précieuse et singulière humanité, que certains s’échinent à souiller et à détruire méthodiquement, faisait elle-même partie d’un tout – l’univers -, mystérieux, extraordinaire, beau, dont nous sommes absolument incapables d’appréhender la taille tant elle est hors de nos échelles habituelles et dont nous n’avons naturellement pas conscience la grande majorité de notre vie. Et cette idée, assurément complexe à incarner, je la voulais déployée sur mon bras droit en entier. Pour la voir sans me contorsionner et la dévoiler sans me déshabiller, même si, d’une certaine manière, l’afficher ainsi, c’est se mettre littéralement à nu. Reste une ultime question : quand ?

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