Manifestement, l’homme et la nature n’adoptent absolument pas la même méthode pour aller d’un point A à un point B. Si la première apparaît diaboliquement efficace et d’une arrogance kilométrique, la seconde séduit par ses tergiversations, sa patience, son sens du compromis et du passage en douceur. Et voilà que, tout d’un coup, je me sens beaucoup plus proche d’elle et de sa façon d’aborder les éléments !
Je n’aime pas toujours les enfants – par exemple, je n’aime pas quand ils crient, chouinent, pleurnichent alors que j’essaye d’avoir une discussion suivie et sérieuse avec quelqu’un, ni qu’ils posent 36 fois la même question à leurs parents sans se fatiguer et avec toujours ce même air innocent (que quelqu’un leur réponde s’il-vous-plaît !), ou encore qu’ils donnent l’impression à tous ceux qui les approchent de devoir mettre leur vie entre parenthèse pour ne s’occuper que d’eux d’eux d’eux. Oui, oui, je sais, « un enfant, malgré tout, c’est tellement de bonheur » ! Bref.
Je n’aime pas toujours les enfants donc mais il est des circonstances où, malgré tout, je les aime toujours. C’est lorsque, avec une simple question posée bien évidemment en toute innocence, ils réussissent à mettre en défaut tous les adultes en présence, les laissant coi avec leur ignorance de grand sensé tout savoir ! Cela s’est produit pas plus tard que la dernière fois. Un bout de marmaille s’est posté devant un de ces Gulliver et lui a lancé : « Pourquoi, quand on se chatouille soi-même, on ne rigole pas ? » Première étape pour le grand : comprendre la question et vérifier qu’elle a un sens. Deuxième étape : visualiser l’action et réaliser, peut-être pour la première fois, qu’effectivement, se chatouiller soi-même ne produit pas du tout le même effet ! Cela n’en produit d’ailleurs aucun.
Le minot, patient, le regarde avec des yeux de chouette sur laquelle on aurait braqué une lampe torche. Troisième étape : trouver une réponse, une réponse, réponse… Les pupilles du grand se dilatent : il croit tenir son explication. « C’est parce qu’en se chatouillant soi-même, on anticipe le geste et du coup, on ne peut plus rire » se dit-il intérieurement. Il s’apprête alors à livrer sa théorie à la marmaille, il articule la première syllabe avant de ravaler sa phrase : il vient de comprendre que son explication ne tenait pas une seconde. Quand une personne s’approche pour nous chatouiller, le fait de la voir et de savoir ce qu’elle va faire ne nous empêche absolument pas d’éclater de rire, éventuellement de nous tordre par terre à en perdre notre souffle. L’anticipation n’est donc pas le facteur discriminant. Alors l’autre, incapable d’avouer qu’il n’en a fichtre aucune idée, regarde le petit et lui dit : « Elle est nulle ta question ! ». Et là, ce sont les adultes que je n’aime pas toujours…
Lorsque j’ai aperçu ces minuscules billes de poussière révélées et colorisées par une lumière du soleil passe-muraille ayant réussi à se faufiler dans l’interstice de cette sacrée façade de pierres, j’ai immédiatement pensé à mes lectures de jeunesse. A une phrase en particulier. « Nous sommes tous des poussières d’étoiles. » L’accent québécois d’Hubert Reeves en prime, l’astrophysicien qui a sûrement le plus contribué à démocratiser une matière autant complexe que point de départ des plus belles histoires… En pleine phase « D’où venons-nous ? », j’ai tout de suite adopté cette assertion scientifico-poétique qui nous annonçait, en substance, que nous, êtres humains, combinaison fantastique d’atomes crochus, étions à la fois tout et rien, infiniment grands et ridiculement petits, les résidus éparpillés puis réordonnés de ces étoiles gigantesques ayant peuplé un univers déjà incommensurable il y a des milliards d’années. Un pedigree mythique qui nous unit tous alors que nous sommes tous différents et séparés. Qui force à l’humilité aussi tout en nous couvrant d’une certaine aura…
Ce matin-là, je m’approche de mes chaussures comme je l’ai fait la veille et encore l’avant-veille. Des chaussures de rando. Je ne suis pas en pleine montagne pour autant, mais à Detroit, Michigan, la paria du moment. Mais contrairement à la veille ou l’avant-veille, mes chaussures sont différentes : leurs lacets sont faits. Et plutôt bien, même. Cela n’a l’air de rien, dit comme ça a posteriori, mais sur le moment, je reste sans voix. J’attrape une chaussure, teste le lacet, confirme qu’il est parfaitement noué et ne peux m’empêcher de lancer, à voix haute : « Ce n’est pas moi qui ai fait ces lacets ! ». Je suis catégorique, j’ai – généralement – une très bonne mémoire des gestes, encore plus lorsqu’il s’agit potentiellement des miens. Or, face à cette paire bien posée le long du mur de la chambre et à ces lacets faits (un double nœud qui plus est !), c’est le trou noir. D’autant plus sombre et profond que je ne peux pas retirer ces chaussures montantes sans les dénouer comme on peut le faire un peu sauvagement en s’aidant d’un pied pour pousser sur le talon de l’autre, lui permettant ainsi de se libérer. De cette impossibilité mécanique découle l’unique conclusion qui vaille : quelqu’un d’autre a profité du fait que je sois endormie pour s’occuper gentiment de mes chaussures !
L’explication cartésienne écartée, deux autres hypothèses me viennent rapidement à l’esprit. La première ? Un événement atroce serait survenu dans cette maison des années auparavant, une mère ayant péri dans un incendie accidentel (une bougie tombée sur le parquet et enflammant les rideaux de la chambre où elle dormait) laissant ses deux enfants orphelins. Depuis, certaines nuits, elle revient faire les lacets des chaussures des occupants du moment, comme elle aurait voulu le faire avec ses propres enfants dont elle avait été dramatiquement séparée… C’est crédible.
La seconde hypothèse, bien que du même acabit, me semble tout aussi plausible. Voyez-vous cette dame entourée de quatre gaillards en tenue de marin sur la photo ci-dessus, en premier plan ? Et bien, cela pourrait être elle aussi. Qui a refait mes lacets pour me remercier de l’avoir choisie et extraite de cette boîte à souvenirs perdus posée sur une table basse en formica d’une brocante du Eastern Market de la ville, boîte où elle aurait pu croupir encore des années, coincée entre un jeune couple sur une barque et une photo floue d’une famille devant leur maison. Ils ont certainement une foule d’histoires à se raconter, les uns et les autres, piégés dans ces bouts de papier sans couleurs, mais j’imagine qu’après quelques années, malgré les brassages imposés par les mains anonymes et pas toujours délicates plongeant dans la boîte pour faire remonter les souvenirs à la surface, interrompant parfois par ce geste anodin de passionnantes conversations, ils finissent par tourner en rond, ressasser les mêmes anecdotes et finalement, trouver le temps long…
J’ai été cette main anonyme qui a remué le passé. Cette photo-là m’a vite attirée. Premier réflexe : la retourner pour en savoir plus. Pour seules informations : WWII et 3. La seconde étant le prix du souvenir en dollars, la première son origine dans le temps. Rien de vraiment précis. Une époque. La 2e guerre mondiale. Si lointaine aujourd’hui que l’intégrité de la photo paraît miraculeuse. Un retour de guerre à en croire la joie irradiant leurs visages à tous les cinq. 1945 alors ? A la Libération ? Au moment du retour au bercail ? C’est une photo posée. L’éclairage est trop parfait, et puis, il y a un décor, au fond, de végétation derrière une fenêtre. Ont-ils fait la guerre ensemble ? Et cette femme, au milieu, était-elle l’amie de celui qui l’entoure de ses bras victorieux ? J’extrais la photo du coffre en continuant à m’interroger sur leurs vies respectives. La nouvelle se propage dans la boîte, mais c’est à peine si j’entends le léger murmure qui me suit, un magma d’au-revoir que s’échangent ceux qui partent à tout jamais et qui restent. C’est un peu comme si j’adoptais des souvenirs auxquels je n’aurai probablement jamais accès…
Arrivée à la caisse, je tends la photo protégée dans du cellophane au maître de cette caverne d’Ali Baba. Il la retourne machinalement et encaisse mes 3€ sans même les regarder une dernière fois. Ils ne sont rien, ou plus rien, pour lui, alors que je m’attache déjà à ce quintet joyeux. Ce qui n’est pas sans m’étonner d’ailleurs : je ne suis pas spécialement attirée par les uniformes, encore moins par les images mettant la/les femme/s dans une posture de femme objet ou assimilé, ce que le déséquilibre numérique de l’image et l’affection guillerette de ces hommes privés de tendresse pendant une durée indéterminée peuvent laisser entendre. Je range méticuleusement la photo dans mon carnet de telle sorte qu’aucun coin de l’image ne vienne à se corner et poursuis mon chemin, sans y penser, ou presque, jusqu’à ce matin-là donc. Face à mes lacets noués et à ma seconde hypothèse. C’est elle, c’est sûr. Heureuse de revivre à nouveau dans l’esprit d’une personne d’un autre temps et à l’idée de s’envoler vers ce vieux continent qu’elle n’a connu qu’aux travers des récits de ces anciens guerriers rieurs…
Parfois, les surveillants des salles de musée me donnent l’impression d’être en prison…
Ce qui m’inquiète le plus à dire vrai n’est pas que ce trio se soit engouffré dans ces sombres abysses terrestres aux abords accueillants, mais plutôt le fait que je ne l’ai jamais vu en ressortir…
Il ne faut pas s’y méprendre, ce n’est pas parce qu’un écran nous sépare et que je ne sais pas où vous êtes précisément que je ne distingue pas votre mine dubitative. Certes, j’ai légèrement saturé les couleurs de cette photo mais promis juré craché, il n’y a aucun filtre : je n’ai fait que révéler le cercle chromatique qui, dans ce face à face étoilé, s’est intercalé, en sourdine, entre l’astre solaire et moi. Capturer ces halos concentriques irisés n’était d’ailleurs pas mon intention initiale à la prise de vue pour la simple et bonne raison que je ne savais pas encore que c’était possible. Vous voyez, je suis transparente avec vous ! Non, ce qui m’avait aimantée, comme souvent dans ces ambiances urbaines a priori froides et déshumanisées, c’est une présence humaine résiduelle. Là, accoudés au bastingage, dans une flèche de lumière, deux hommes dont la petite taille – tout à fait normale en réalité – comparée à celle des immeubles alentours rappelle à quel point nous vivons parfois dans des environnements qui nous engloutissent totalement. Impression d’écrasement intégré que ces vives couleurs viennent heureusement atténuer…
Magie féérique de cette improbable nuit américaine… Je me réveille dans une sombre barque au milieu d’un fjord scandinave sans savoir comment je l’ai atteint – je ne trouve aucune rame – ni comment j’ai gagné la frêle embarcation. Tout autour est incroyablement calme, immobile et silencieux, comme si le temps qui passe s’était arrêté là où le mouvement, le bruit, sont, d’habitude, incessants. Je voudrais rejoindre ce port, au fond, dont les maigres lueurs sont autant de signes de vie rassurants mais je suis incapable de bouger. Ce ne sont pas mes muscles qui résistent, mais mon esprit irrationnel : il ne veut pas souiller l’équilibre parfait sur lequel je parais flotter et qu’un simple tressaillement de ma part briserait en une fraction de secondes, faisant à jamais disparaître ce dialogue mi-diurne mi-nocturne entre le ciel et la mer, autant sublime qu’irréel.
Ce moment, magique, où, après s’être temporairement éclipsé derrière les nuages épais nimbant le monde d’une noirceur apocalyptique, le soleil rougi réapparaît, fier et victorieux, pour ressusciter tout ce et ceux que ses rayons touchent. 11 Share on Facebook
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Share on FacebookLa 6e génération d’Objectif_3280 est lancée avec toutes ses branches ! Contrairement à la première édition de décembre, nous n’avons pas eu recours à un 2e écho par personne ce qui constitue une petite satisfaction… Pour cette avant-avant-dernière génération, nous devons recueillir 243 images en réponse aux 81 de la précédente… Il y a donc […]
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