Photo-graphies et un peu plus…

Share on Facebook

Yellowknife, Territoires du Nord-Ouest, Canada, sur le Grand Lac des Esclaves. « Sur » oui, pas « à côté » ou « près » ou « vers ». Marcher « sur » un lac ne peut, a priori, se faire qu’en hiver, à moins d’être doté de pouvoirs surhumains. Et l’hiver, à Yellowknife, il dure un temps certain. Suffisamment pour que l’eau qui emplit son immense lac se solidifie et qu’une couche de glace d’un mètre se forme. Suffisamment aussi pour que l’étendue d’eau gelée se mue en mythique route de glace de deux fois quatre voies…

A l’entrée de cette autoroute temporaire très spéciale, un panneau rappelle que le poids maximum autorisé est de 40 tonnes… De quoi rassurer durablement les poids plume que constituent les humains qui s’aventurent dessus, pour s’y promener, y faire du vélo, du chien de traîneau ou encore rallier le village situé de l’autre côté de la rive. Pour autant, cette surface n’en est pas moins vivante… Au passage de ce camion éructant sa fumée poisseuse, j’ai en effet senti l’épaisse couche de glace noire translucide déjà fendillée vibrer sous mes pieds et, malgré le vrombissement tonitruant de son moteur aux poumons sclérosés, j’ai entendu la glace craquer dans un grondement sourd inédit à mes oreilles. Un tonnerre glacial faussement effrayant et surtout, furieusement envoûtant…

Share on Facebook

Share on Facebook

Je me souviens parfaitement de ma réaction en débarquant sur cette plage de Waikiki : une étrange sensation d’être entrée dans une affiche publicitaire sans m’en rendre compte… Vous savez, de celles qui, en hiver voire aux prémices d’un été nommé désir, vous narguent dans les couloirs parfois suintants et glauques du métro parisien, tel un idéal inaccessible.

Tout relève tellement du cliché – les cocotiers et leurs ombres marbrant le sable blanc et fin, l’eau turquoise où l’on s’imagine déjà voir jusqu’à ses orteils posés sur un sol vierge, le ciel bleu ponctué de nuages dessinés au pinceau, les touristes nonchalants sur leurs transats, les parasols aux couleurs vives, la blanche colombe posée sur le rocher au premier plan… – que la supercherie paraît inéluctable. Où est le directeur de la photographie, la cantine des figurants, où sont les spots lumineux, les décorateurs et filtres de couleurs ? Où est la preuve que tout ce décorum n’a été créé qu’à des fins mercantiles ? Pour vendre des bikinis, des alcools forts ou des vacances de rêve… Nulle part. Aussi artificiel qu’elle semble l’être, cette image n’est que le fruit d’une lointaine réalité. Je suis dans le rêve de quelqu’un d’autre. Et je le saurai bien assez vite…

Share on Facebook

Share on Facebook

Je ne reviendrai pas sur cet état de fait malheureux : une journée fait 24h, pas une minute de plus, pas une de moins. Comme nous n’avons pas – l’espèce humaine – ce pouvoir surnaturel d’augmenter la durée d’une journée, nous nous sommes contentés de faire ce qui était dans nos capacités, à savoir multiplier ce que l’on pouvait faire en un jour. Des gens brillants ont inventé des machines volant à 1 000 km/h, raccourcissant les distances, et donc le temps, entre deux destinations lointaines ; d’autres ont créé des machines lavant et séchant le linge automatiquement, permettant à celles qui s’en occupaient de faire autre chose pendant ce temps ; certains ont même conçu des machines destinées à penser et à calculer à leur place, pour aller encore plus vite. Ces dernières génèrent d’ailleurs tellement de données que le cerveau humain n’est plus capable de les analyser, mais il est suffisamment malin par ailleurs pour créer d’autres machines qui se chargeront de trier les données pertinentes voire de les pré-interpréter.

A chaque fois que du temps est gagné sur la journée de 24h, c’est qu’il y a technologies. Ces dernières années, elles ont massivement inondé les modes de communication, de telle sorte que nous sommes, à tout instant, en « contact » avec les autres – connus ou inconnus -, avec ce qui se passe ici et surtout ailleurs, hors de notre portée visuelle, auditive, olfactive ou sensorielle. « Contact » est d’ailleurs un abus de langage hérité de cette époque où les gens se voyaient réellement, cette phrase n’étant pas aussi rétrograde qu’il n’y paraît… Et si ce n’est pour communiquer, c’est au moins pour s’informer. Des plus futiles aux plus fondamentales, les informations tombent, non hiérarchisées, à un rythme effréné. Ce déluge de savoirs et de connaissances, – deux notions à redéfinir ? – diversement intéressantes donc, est véritablement effrayant dès lors que l’on accepte de prendre un peu de recul (sans celui-ci, on est dans la phase d’incompétence inconsciente que j’évoquais dans Et la lumière fut). Et le rythme n’est pas destiné à décélérer, bien au contraire. D’ici 4 ans, les pros du secteur estiment en effet que le trafic Internet annuel de notre chère planète bleue atteindra les 1,3 zettaoctet. Vous ne savez pas ce que cela signifie ? Moi non plus ! Pour ne pas finir la journée plus bête que ce matin, voici : un zettaoctet, c’est un 1 suivi de 21 zéros. On ne se le figure pas plus pour autant : c’est en fait près de quatre fois plus qu’aujourd’hui… Toujours en 2016, 45% de la population mondiale devrait être connectée à cet informateur universel ! On imagine que l’on s’active déjà dans les tuyaux pour que tout ce monde en quête d’échanges ait réellement accès à un débit digne de ce nom, le très haut-débit, voire la fibre optique (on ne pourra en effet pas aller plus vite que la lumière même si des physiciens l’ont cru l’an passé suite à un excès de zèle mal calibré de neutrinos).

Des champs d’investigation totalement nouveaux et aux noms emplis de mystères – au quasar, glycobiologie, épigénétique, bioinformatique, enthéobotanique, biologie synthétique, NBIC (convergence des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’intelligence artificielle et des sciences cognitives) – s’ouvrent à nous comme la Mer Rouge et nous serons pourtant à jamais inaccessibles (même si nous en exploiterons les applications sans savoir qu’elles en sont à l’origine). Cette inaccessibilité-là n’étant pas liée au fait d’accéder à l’information – nous avons vu que, de ce point de vue là, l’affaire était réglée – mais plutôt à la pleine compréhension de cette information. Sans doute n’est-ce pas absolument grave de ne pas tout comprendre pour vivre correctement – admettons même que la chose est impossible – mais de réaliser que l’évolution des sciences et techniques va plus vite que notre capacité à les maîtriser, à les appréhender, à se les approprier, à en mesurer les implications me donne le tournis. A la fois à titre individuel – une petite mort, quand même -, mais aussi collectif : où se dirige un monde qui ne peut plus comprendre ce qu’il crée lui-même ?

Ce mouvement ne peut évidemment s’inverser : on ne rétrograde pas, dans notre monde moderne, sauf cette andouille d’indice triple A. Et même quand on veut faire plus simple, gommer l’ostentatoire technologie, il faut des trésors d’intelligence pour y arriver. C’est compliqué de faire simple, surtout quand on veut aussi faire mieux. Plus efficace, plus rentable, plus direct, plus rapide, plus fiable, plus truc que ce qui se faisait « avant ». Vous savez, cet « avant » que l’on brandit en général pour dire qu’il était mieux, ce qui est un peu facile. Mais je me demande sincèrement comment les personnes de plus de 80 ans – celles qui ont connu les opératrices (presque centenaires donc) et peuvent aujourd’hui se skyper avec leurs arrières-arrières-petits-enfants à l’autre bout du monde tout en s’envoyant des photos du petit dernier – perçoivent ce monde d’hyper-connexion un brin abstrait… Monde qui donne la désagréable sensation de frôler la chute en permanence : la déconnexion ! Laissez passer une nouvelle techno grand public et vous êtes potentiellement à la traîne pour le reste de votre vie… Ce monde – j’écris ça comme s’il y en avait un autre, qu’il y avait le choix ou que je lui étais étrangère – est comme un train en marche – un shinkansen, ultra-rapide donc – dans lequel il faut forcément sauter, indépendamment du besoin et de l’envie, deux notions à revisiter tout comme le savoir et les connaissances sus-cités. Celui qui n’a ni smartphone ni tablette aujourd’hui est-il un has been, un obscurantiste ? Risque-t-il de manquer son entrée dans le futur comme ceux qui ont résisté à l’outil informatique à l’aube des années 1980 ?

Impossible de suivre ce rythme qui nous empêche de penser, de réfléchir, car réfléchir, c’est s’arrêter et s’arrêter, c’est louper la station ! Personne n’a le don d’ubiquité et pourtant, tout semble se passer au même instant. Je n’ose même pas écrire « moment » qui, en lui-même, suggère une certaine durée. L’instant, c’est cette unité furtive du temps qui est déjà finie sitôt qu’elle débute. Bref ! Le présent, notre présent, nous donne l’illusion d’une omniscience tout en nous confrontant à notre ignorance croissante sans que cela paraisse paradoxal. Le présent, où tout change vite, où l’on est témoin de la disparition d’outils créés par nos parents (la K7 par exemple), où tout tourbillonne autour de l’homme lui fait aussi croire qu’il est lui-même plus rapide, qu’il est lui aussi temps-flexible. Qu’il peut, comme il a réussi à le faire avec les 86 400 secondes de la journée, se subdiviser, se démultiplier, se … cloner ? La grande illusion ! Car cela lui prendra toujours le même temps de nouer ses lacets, de prendre une douche, de se plonger dans un livre, de faire la cuisine, d’aller voir un film, de faire des longueurs, de dormir parfois, de voir ses amis, de rêver… Et, même si je passe mon temps à pester contre le temps qui passe trop vite, qui file entre les doigts comme le sable blanc ultra fin de Jervis Bay en Australie, je suis partiellement soulagée que l’homme ait des limites. Mais, jusqu’à quand ?

Share on Facebook

Extrait d’« Etats d’âme sur le macadam », ensemble de textes griffonnés à l’aube du 21e siècle sur mes inséparables petits carnets…

*

Ils vivent dans des bulles rectangulaires illuminées. Ils sont dans des boites. Tout le monde peut les voir vivre. Les violer dans leur intimité. Dans leur croyance d’intimité. Ils se croient protégés, derrière leurs murs ; ils se pensent chez eux. Foutaise. Ils se donnent en spectacle, en ombre chinoise, en personnage réel : au choix. Des vies s’imaginent. Fausses. Irréelles. Est-ce important que tout cela ait un sens ? Tout cela ? Ces gens qui bougent, qui vivent derrière leurs fenêtres. Cages dorées. Le ciel est là-haut, impalpable, inaccessible. A quoi sert-il ? Vie sans conscience des autres. En toute innocence. Transparence. Ou plutôt invisibilité. Le bruit n’est pas. L’écho est faux. Il est possible de vivre sans. La bulle. Personne n’osera la percer. Quelle est la volonté de son intérieur ? Qu’on la perce ou pas ? Ah, le choix. L’indéfinissable choix. L’irréalisable choix. Développer son esprit critique, d’analyse. Des paroles en l’air. Des mots pour tout dire, pour ne rien dire. Tous ces mots, sur le papier, dans l’air, à quoi servent-ils ? Changent-ils notre condition ? Où est l’intérêt de cette accumulation d’idées, d’opinions, de descriptions ? Justification matérielle et intellectuelle. Il faut bien se donner une raison d’être.

Share on Facebook

Share on Facebook

Balade post-averse. A côté du tumulte de la large avenue passante où rugissent les chars, cette ruelle que l’on éviterait volontiers la nuit tombée, affiche un calme absolu. Je m’y avance de quelques mètres. J’ai cru voir quelque chose briller sur le macadam. Et, là, à l’abri des regards égarés, je cueille cette image urbaine avec autant de soin qu’une edelweiss dans les montagnes suisses. Rarement reflet aura été aussi pur…

Share on Facebook

A l’origine, si je me suis approchée de ces anciennes Halles reimoises, c’est pour leur architecture étonnante me rappelant vaguement celle du CNIT à La Défense, ainsi que pour leur désespérant – et en même temps, attirant – état de délabrement et d’abandon. Pour une raison qui m’est encore obscure, j’aime ces bâtiments, maisons, immeubles qui semblent être passés à deux doigts de l’apocalypse. Ce n’est pourtant pas cet aspect-là qui me revient à l’esprit aujourd’hui dans ce face-à-face avec cette image. Ce jour-là, presque lointain, une autre catastrophe a en effet été évitée de justesse et c’est à elle que cette photo fera désormais écho.

A l’époque, j’avais pour habitude de tenir un peu mollement mon nouvel appareil numérique, ce qui m’avait déjà valu plusieurs frayeurs suite à des cadrages un peu tarabiscotés. Un peu trop confiante en mon équilibre, je snobais insolemment les divers avertissements que l’on me lançait. Bizarrement, ce dimanche-là, me retrouvant en émoi au pied de ces Halles désertées à l’accès bloqué par de grandes grilles métalliques, j’ai, pour la première fois, obéi à l’injonction : j’ai passé la petite cordelette de mon appareil autour de mon poignet droit. Pressée de capter ce qui ne bougeait pourtant plus depuis des années déjà probablement, j’ai levé le pied pour le poser juste devant la grille. Sans faire attention à ce qu’il y avait au sol… J’aurais dû. Une belle plaque de mousse mouillée ! Mon pied a dérapé, mon bras droit s’est affolé pour rétablir l’équilibre, ma main droite – tenant la boîte à images – s’est instinctivement ouverte pour attraper quelque chose de fixe… En 1 seconde 32 centièmes – la durée du fâcheux épisode -, j’ai vu sa courte vie défiler et toutes les images faites avec lui projetées en grand dans l’immense marché parabolique. Je l’ai vu s’envoler au beau milieu des Halles du Boulingrin et exploser avec fracas sur ses dalles de béton. Je me suis vue dépitée, abattue, énervée d’avoir causé la fin prématurée d’une amitié naissante… Heureusement, rien de tout cela n’est arrivé puisque je l’avais accroché à mon poignet ! La cordelette s’est tendue… Au bout, l’appareil, vacillant, titubant, sonné mais sain et sauf ! Voilà ce dont je me souviens en regardant cette photo. En revanche, je ne sais toujours pas pourquoi, comme toutes les fois précédentes, je n’ai pas envoyé valser le conseil que l’on me donnait…

Share on Facebook