Photo-graphies et un peu plus…

… avec des automates de luxe inanimés. Des mannequins plutôt. Et même, leurs têtes uniquement, même si elles ne sont pas uniques. Très en beauté ! Eye liner, rouge à lèvres, pupille lumineuse, on n’en croise pas tous les jours des comme ça. Quelle étrange disposition d’ailleurs pour ces plastiques plastiques ! Les yeux rivés sur la rue, témoins passifs du passage de la vie. Ces cobayes d’apprentis coiffeurs ont-ils une âme ? Rêvent-ils d’avoir un jour les cheveux longs ? De trouver corps à leur tête pour arpenter la ville ? Là, abandonnés sur l’étagère après l’ouvrage, on se prendrait presque à être tristes pour eux…

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Un ours en peluche jouant à cache-cache en pleine rue, avouons-le, ce n’est pas très courant. Et je ne parle pas du film d’animation qui sévit actuellement dans les salles obscures et fait pleurer, de rire aussi, les grands enfants nostalgiques. Ainsi blotti derrière un volet replié de fenêtre de rez-de-chaussée, j’ai d’ailleurs bien failli ne pas le voir, ce petit ours attendant patiemment que l’on vienne le chercher. Comme s’il était au coin… Peut-être est-il puni ? Ou alors, il monte la garde !

Reste que sa présence à cet endroit intrigue, encore aujourd’hui… L’hypothèse anthropomorphique rapidement abandonnée, les questions arrivent : comment est-il arrivé là ? A-t-il été abandonné, lâché par mégarde par un enfant en poussette, puis ramassé par un badaud, passant par là aussi, mais un peu plus tard, pour être posé sur le rebord de la fenêtre au cas où parent et enfant retraceraient leur chemin en sens inverse ? Si tel est le cas, pourquoi l’avoir mis derrière le volet, à l’abri des regards ? Et était-il déjà installé lorsque les propriétaires du volet l’ont replié sur lui-même ? Probablement, puisque ce dernier n’est pas totalement ouvert. En le dépliant, ils ont bien dû se rendre compte que quelque chose bloquait.  En tendant la main, ils ont touché quelque chose de doux et de triste. Mais, dans ce cas, comment expliquer qu’ils l’aient laissé là au lieu de le faire trôner au milieu de leur fenêtre, pour qu’il soit repéré de loin par son jeune propriétaire désespéré ? Après réflexion, la partie de cache-cache me semble bien plus simple et logique !

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Toujours commencer la semaine par un brin de ciel bleu et un peu de hauteur… J’ai déjà écrit cela il y a quelques semaines, quelques mois. Rien de tel, pour ce faire, qu’un petit détour par la grande pomme aux lignes acérées. Un cliché parmi tant d’autres sur cette ville magnétique. Les taxis jaunes, ces puzzles sur le bitume et surtout le fringuant Flat Iron Building.

La première fois que je suis allée à New York, il était entouré d’un filet de dentelle. Ravalement. Pour se faire une beauté. Une frustration quand on ne sait si on aura la chance de revenir ou pas. La nuit venue, depuis le sommet de l’Empire State Building, ce monument d’architecture se démarque comme peu d’autres dans le magma lumineux que devient la ville. Non qu’il soit particulièrement bien éclairé, mais sa position centrale, au carrefour des 23e rue, 5e avenue et Broadway en fait un point où le trafic converge pour mieux s’en éloigner. Une toile d’araignée en quelque sorte. Arrivé à la jonction, le flot d’automobiles se décompose alors en deux artères bien rectilignes. D’en haut, des filets de lumière incessants comme un flux sanguin.

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A certaines heures de la journée, à certaines périodes de l’année, à certains instants de ciel dégagé, le macadam se peuple de formes difformes, allongées et parfois tronquées… Le spectacle ne dure que quelques minutes durant lesquelles la surface supplante le volume. La valse des ombres a sonné, indiquant toutes la même direction, celle du coucher.

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C’est terrible comme certaines images peuvent, dans l’instant, nous envoyer à des milliers de kilomètres de l’endroit où elles ont été prises… Ainsi en est-il de ce paysage aux trois éléments capté depuis le siège arrière gauche d’une voiture roulant à 142 km/h sur une autoroute française. Sur le moment, rien de « plus » qu’un soleil couchant, une éolienne en contre-jour, quelques nuages épars et un horizon hoquetant. A posteriori, un air de déjà vu. Un air de Nevada. Un vendredi soir sur la deux fois six voies menant à Las Vegas. Un cliché en somme. A l’allure finalement universelle. Une image générique donc. The end.

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Je ressens toujours une petite gêne lorsque je suis prise en flagrant délit de photographier un ou une inconnue, comme si j’avais été saisie la main dans le pot de confiture, de fraises. Deux stratégies s’imposent alors rapidement : soit baisser maladroitement l’appareil et tourner le dos à mon forfait (pas la plus courageuse), soit rester cachée derrière l’objectif et changer de cadre en attendant que l’observé se lasse (pas très courageux non plus). Le face-à-face involontaire m’indispose, alors, j’essaye d’être rapide lorsque d’aventure, j’humanise mes images.

Personnellement, je n’aime pas me retrouver dans le champ d’un objectif, d’appareil photo ou de caméscope. Je tourne machinalement la tête, remonte mon journal au niveau du visage, fais un détour, voire une grimace… bref, j’esquive. Je respecte donc tout à fait l’agacement potentiel des photographiés d’où mon exigence de discrétion, d’autant plus nécessaire que je ne suis pas équipée d’un téléobjectif d’invisibilité. Reste que lorsque, à mes yeux, le personnage prend le dessus sur la personne, j’ai du mal à ne pas déclencher.

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Mais laquelle ? Celle scotchée à tout œil de touriste moderne qui se respecte (oui, oui, je ne suis pas très bien placée pour écrire cela…), ou celle qui siège au dessus de notre cou et nous fait réciter La cigale et la fourmi 40 ans après l’avoir apprise ? La première, caméra ou appareil photo, nous permet de capter et d’immortaliser tout ce que nous voyons, sans aucune sélection. On enregistre, on compile, on ne loupe rien, dans l’espoir de pouvoir « y retourner » plus tard, comme si on y était à nouveau. Mais, dans ces conditions, y est-on vraiment allé ? La machine – si noble soit-elle – se pose comme un filtre au champ réduit entre la vie et ce que l’on pourrait ressentir en se laissant traverser par les émotions, en la vivant vraiment. Pas de mémoire vive, mais une mémoire fictive. Virtuelle.

Les modes d’enregistrement, de captation, de recherche et de conservation des informations – images, sons, textes, numéros, adresses, moteurs de recherche… – ont tellement explosé que solliciter sa mémoire devient obsolète. A l’opposé, il y a ceux qui ne se fient qu’à leur deuxième boite. C’est le cas dans cette librairie malouine, une institution. De prime abord, un véritable capharnaüm : il y a à peine de quoi se faufiler entre les piles et étagères de livres… Un chaos total dans lequel on n’imagine rien retrouver sans au moins une lampe frontale, une bouteille d’oxygène et quelques heures de patience. Et pourtant, demandez un ouvrage quelconque, mais pas quelconque, et les maîtres des lieux vous l’apporteront après quelques secondes. Juste le temps nécessaire pour localiser le livre dans la topographie tentaculaire qu’ils ont bâtie au fil des années et qu’ils maîtrisent à la page près. Ce sens aigu de l’orientation mêlé à une mémoire visuelle exceptionnelle impressionne. Et méritait bien une photo, pour se souvenir qu’il est beau de se souvenir sans artifice…

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New York, un gris jour de juin. Tout en l’air. Se tordre le cou, se plier les lombaires. Inéluctable. Lignes déjouées, perspectives bousculées. Le bas touche le haut, qui se laisse difficilement apprivoiser. Plusieurs minutes pour caler la rencontre. Contact réussi. Déclenchement activé. Extrapolation : La création d’Adam… Michel-Ange et sa chapelle Sixtine. Ici, à ciel ouvert. Mais, qui est le grand architecte ?

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J’ai déjà évoqué mon attirance pour certaines scènes, paysages, ambiances, qui ont sur moi l’effet d’un aimant. Cette image illustre l’un de mes autres sujets de prédilection : les objets en décomposition. Ruines décrépies (pas antiques malgré tout), vélos rouillés, bâtiments abandonnés, tables empoussiérées… Ces choses, fabriquées et chéries en leur temps par les hommes, puis laissées en pâture au temps car elles ont a priori fait le leur, je les trouve très belles. A leur manière, elles continuent à vivre, même si cela se traduit par des déchirures, des effondrements, des salissures. J’ai une tendresse infinie, que je ne m’explique pas encore, pour ces choses qui, en se décomposant, recomposent quelque chose de neuf. Probablement car elles sont chargées d’histoire et d’histoires.

A l’instar de cette ancienne buvette de piscine municipale finissant ses jours dans le jardin d’un château trois étoiles, nouveau propriétaire du terrain qui a pris soin de ne pas détruire ce qui, pourtant, pourrait gâcher la perspective de certains visiteurs. Il suffit de fermer les yeux quelques instants pour voir des enfants débouler en criant, d’autres faire des bombes dans la piscine et provoquer l’ire des liseuses alentour éclaboussées, des ados jouer au volley sous les arbres ; il suffit d’ouvrir les pavillons pour entendre les oiseaux chanter, les bébés gazouiller, l’eau gicler, les feuilles s’agiter, les citronnades couler, les mots s’échanger. Souvenirs de moments non vécus…

Tout cela n’est que le miroir de notre cheminement naturel. On naît, on grandit, on vieillit en fait. Mais ce mot, on préfère le garder pour plus tard, comme pour mieux conjurer le sens de la vie. Nos souvenirs sont ce qui reste. On met nos vieilleries de côté, dans notre champ de vision, mais pas trop, pour pouvoir les oublier de temps en temps. Et paradoxalement, on invente chaque jour de nouveaux moyens de contrer la flèche du temps, de faire durer plus longtemps (pas les objets, ce serait contraire aux principes économiques régulant nos sociétés occidentales et fondés sur la consommation à outrance), et d’effacer les stigmates de l’âge. Cela a quelque chose de triste. Comme une négation de ce qu’est intrinsèquement l’Homme. Heureusement, la réhabilitation des lieux désertés a la côte. Le début d’une deuxième vie pour certains… Quid de celui-ci ?

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Les rais ardents du soleil assèchent tout, les cours d’eau, les herbes folles, les yeux marrons. Une cascade d’eau sur ces attributs voyeurs résout tout. Enfin, en partie… Si le flot, comme la pomme, file rapidement rafraîchir l’humus, une fine pellicule d’eau fait de la résistance et reste fermement amarrée aux yeux. Rideau.

En un rien de temps, tout ce qui était parfaitement défini et identifiable perd la mémoire. Le flou total, qui fait naître de nouvelles formes. Arbre de Noël aux branches attirées par les hauteurs serties de guirlandes estivales aux boules de ciel bleu, de lumière blanche et de feuilles vertes. Mélange confus et inextricable de billes abstraites impossibles à attraper. Magma magnifique que l’on ne peut toucher qu’avec les yeux. Embués.

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