Contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier regard, ces deux-là ne sont pas en train de jouer à cache-cache. Et si c’était le cas, il faudrait alors prendre quelques minutes pour leur rappeler les règles basiques du jeu : pendant que l’un compte, l’autre se cache, étant entendu que rester à côté du compteur ne constitue pas une cachette pertinente, à moins d’être invisible, ce qui voudrait dire que je vois au-delà de la transparence, ce qui n’est a priori pas le cas. Par ailleurs, je ne suis pas certaine qu’une partie de cache-cache soit réellement autorisée dans un cloître.
En fait, ce sont des tree huggers – personne ne s’est manifestement hasardé à traduire l’expression en français -, vous savez, ces gens qui font des câlins aux arbres, les enlacent – là, c’est un peu difficile puisque celui ci fait près de 5 mètres de circonférence -, collent leur visage contre leur tronc, respirent profondément et se laissent traverser par leur énergie vitale aux mille vertus. D’ailleurs, elle seule doit être convaincue par la force de la transfusion car son camarade de vie n’a pas osé toucher ce magnifique et deux fois centenaire cèdre du Liban, arbre sacré par excellence… Cela a beau être naturel – je laisse moi-même souvent traîner mes mains sur les arbres -, rencontrer des câlineurs d’arbres – pourquoi pas finalement ? – est encore un moment inattendu, surprenant et étonnamment touchant. La prochaine fois, je m’y colle !
Savez-vous ce que je me suis naïvement dit en le voyant ainsi mains et bras levés ? Qu’il priait de toute son âme, qu’il saluait la beauté de ce paysage naturel et grandiose, qu’il admirait la douceur de cette montagne aérée et aérienne, qu’il se recueillait devant la toute puissance des forces telluriques de la troisième planète du système solaire (quand même, ce n’est pas rien, c’est toujours la seule habitée jusqu’à preuve du contraire !), que patati et patal’aut… Et puis, il a baissé les bras, il a pivoté de 10° vers moi et je me suis sentie bête. Comme les seuls moutons taïwanais paissant sous les yeux ébahis des touristes locaux à quelques collines de là, je m’étais égarée. Car entre ses mains, il n’avait ni plus ni moins que le chapelet des temps modernes, cet outil omnipotent, omniscient, omniprésent, toujours connecté à l’au-delà et rapprochant les êtres grâce à ses ondes électromagnétiques à la vie à la mort : dring dring !
Haut en couleurs, tonitruant, festif, mystique et spirituel, le Pèlerinage de Matsu (ou Mazu) qui vient de commencer est l’événement le plus emblématique et populaire de la vie culturelle et religieuse taïwanaise. Inscrit au « patrimoine culturel immatériel » de l’Unesco depuis 2009, la procession taoïste suivant un ensemble très précis de rituels est l’un des événements religieux les plus importants au monde. Pendant 8 jours et 7 nuits, des dizaines de milliers de pèlerins vouant un culte sans limite à la Déesse de la Mer escortent son parcours de temple en temple sur plus de 340 km.
Les heures précédant sa sortie du Temple Jenn Lann à Dajia où elle est reconduite à l’issue du pèlerinage, ainsi que la première nuit de marche en sont des moments paroxystiques. Toute la journée, les fidèles prient Matsu dans le Temple enrobé d’une douce odeur d’encens, lui apportent moult offrandes tandis que, dans la cour, se joue une autre scène, beaucoup plus festive et folklorique mais néanmoins emprunte d’une réelle dévotion avant que la foule, un peu avant minuit, ne se mette en marche pour Shalu, fin de la première étape.
Qu’ont en commun ces quatre photos hormis leur auteur ? Une même dénomination barbare, un même numéro matricule dont les propriétaires d’une certaine marque nippone (ce qui n’est pas un vrai indice compte tenu de leur nombre) identifieront facilement l’origine : DSC_0299. DSC_0299 une fois, DSC_0299 deux fois, DSC_0299 trois fois, DSC_0299 quatre fois. Adjugé, vendu ! Coup de marteau sec sur la table en bois de charme ! Vous là-bas, au fond, elles sont à vous ! Quatre photos différentes faites en des temps non simultanés et en des lieux distants de milliers de kilomètres.
Avec certains appareils, l’incrémentation semble possible à l’infini : le compteur avance sans réfléchir ni fléchir, ne rencontrant aucune limite sur son chemin. De fait, le preneur d’images sait exactement combien de photos il a faites, si tant est que cette information numérique ait à la fois un sens et un intérêt. Partons du principe que c’est le cas. Ma boîte à images, de seconde main, n’est pas de ces machines-là : elle a une frontière ultime au-delà de laquelle tout recommence… 9 999. Je peux en effet prendre 9 999 photographies avant que la boucle ne reparte, non pas à zéro mais à un… Logique, au fond, et même en surface, le zéro incarnant le vide alors qu’il s’agit justement d’un premier acte de naissance voire de métempsycose iconographique. Ainsi cette numérotation cyclique, à l’image d’un calendrier, délivre-t-elle aussi quelques informations temporelles, que, telles des crevettes roses, je me sens d’humeur à décortiquer.
Première donnée : disposer de quatre photos homonymiques signifie qu’entre la première et la dernière, j’ai pris 9 999 + 9 999 + 9 999 photos, soit, au total, 29 997 photos. J’en conviens, c’est absolument indécent et prouve – ce que j’avais déjà saisi – que j’ai totalement été aspirée par le gouffre du numérique, véritable invitation à la démesure. Car, évidemment, sur ces 29 997 photos, je n’aurai pas la prétention d’affirmer qu’elles ont toutes un intérêt. Ce qui soulève une question de poids : une photographie doit-elle avoir un intérêt ? Et si oui, pour qui ? Celui qui la prend, celui qui la regarde ? Quoiqu’il en soit, beaucoup de ces photos n’ont eu qu’une durée de vie très courte, ne faisant qu’un subliminal séjour dans la mémoire de ma boîte à images, heureusement – ou malheureusement en cas de mauvaise manipulation – amnésique. Nouvel examen de passage pour les rescapées suite au transfert sur ordinateur… Un face-à-face, qui gagnerait à être plus impitoyable, mais en entraîne néanmoins une nouvelle fournée à la poubelle virtuelle. Bref, si j’ai bel et bien déclenché 29 997 fois, un contre-maître recenserait bien moins d’images au final.
Deuxième donnée : la première DSC_0299 date du 21 mai 2010, la deuxième du 7 avril 2011, la troisième du 24 juillet 2011 et enfin la dernière, du 24 mars 2012. Un savant calcul mathématique – certainement faux – nous apprend donc qu’il s’est écoulé 321 jours entre les deux premières DSC_0299, 108 jours entre les deux du milieu, et 244 jours entre les deux dernières… C’est là que thermomètres, métronomes, baromètres et autres podomètres s’affolent ! 9 999 photos en 108 jours ! Certes, les circonstances étaient très particulières – année à vagabonder hors de mes frontières habituelles à découvrir, presque chaque jour, de nouvelles cachettes terrestres -, le constat n’en est pas moins inattendu. 9 999 images en 108 jours, c’est une moyenne de 92,58 images par jour, soit – si l’on considère que la fenêtre moyenne de prise de vue sur une journée est de 12 heures – fait 7,71 photos par heure. Admettons maintenant qu’il faut en moyenne 2 minutes pour prendre une photo – incluant le choix du cadrage, de l’angle, la mise au point, les réglages – cela signifie que, pendant ces circonstances très particulières, je passais près de 16 minutes par heure ouvrable à prendre des images. Autant dire que je vivais en parfaite symbiose avec elles. D’aucuns pensent sûrement que s’octroyer autant de temps pour capturer le présent empêche de vivre au présent. Puisque cette frénésie photographique me plaçait dans l’anticipation d’un futur où j’aurais souhaité revisiter un passé qui, pour l’heure, n’était encore que du présent. Ceux-là ont en partie raison, même si je veux croire le contraire. Car je me souviens clairement de tout ce qui entoure ces quatre images.
Errance solitaire – un piège car aucune autocensure consécutive à la présence d’une autre personne ne vient rompre la dynamique photographique – dans les rues de Sliema, en face de La Valette à Malte. L’omniprésence du catholicisme s’impose à tous ceux qui n’y sont pas habitués. Un instant, à force de lire ce « in god we trust » que je n’avais vu qu’outre-atlantique, je crois à une colonisation américaine de l’île méditerranéenne… Icônes à chaque coin de rue, églises démultipliées, pratiquants proclamés, jusqu’à ces invitations de porche là où, sous nos latitudes, nous nous contentons d’un laconique « pas de publicité »… Direction Vancouver pour ce cerisier japonais en fleurs. Cela ne fait que quelques jours que je suis dans cette ville envoûtante où je vais séjourner un trimestre. La ville est parsemée de ces arbres magnifiques dont les fleurs éclosent début avril. Les jours précédents, j’ai observé les bourgeons gonfler, s’épanouir, puis s’ouvrir jusqu’à atteindre cette incroyable, mais naturelle, explosion vitale. Quelques jours après, leurs pétales, aidés par la bise, sont tombés par grappes, tapissant l’herbe verte d’une neige qui ne fond pas, et de jeunes feuilles les ont progressivement remplacés. 24 juillet, Crater Lake. Reflet quasi parfait de cette caldera préservée sur les eaux à la pureté unique au monde où a poussé une petite île, s’évanouissant parfois dans la brume ou l’éclat solaire. On en fait le tour, l’observant de haut, de loin, avant de se frayer un chemin vers cette surface pacifique que l’on a presque honte de déranger… Enfin, là, très récemment, l’une des installations de Yann Kersalé, mon J-1 du 24 mars, transposition miniature et sèche d’une expérience artistique dans un bassin breton rempli d’algues géantes pour l’occasion. Vision qui me replonge quelques années en arrière, dans les eaux glaciales d’une baie située au delà des quarantièmes rugissants, frigorifiée dans une combinaison trop grande pour moi mais subjuguée par cette valse de laminaires entre lesquels se faufilent les rais du soleil. A l’époque, faute d’appareil insubmersible, je n’avais pas pris de photo. A l’époque, j’utilisais un argentique. Mais les circonstances étaient aussi très particulières…
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
J’étais à l’arrière du bus lorsque j’ai pris cette photo. Dernier rang, comme les cancres. Près du chauffage. Avec les mêmes. Regardant le passé. Gouttes sur la vitre, suffisamment pour créer un flou partiel, comme de l’eau accidentellement échappée d’un pinceau tombant sur une aquarelle tout juste peinte. Et zut ! Et puis cette silhouette […]
A l’heure où la cigarette est assimilée à la « pipe » et à la soumission sexuelle, que se passerait-il si, comme chez nos voisins germaniques, les paquets de nicotine en barre étaient logés à la même enseigne que les boites de gommes à mâcher, chocolateries et autres sachets de dragées, eux-mêmes bannis des caisses de l’hexagone […]