Photo-graphies et un peu plus…

… les musées sont pris d’assaut. Inutile de raser les murs dans l’espoir d’être maigrement protégé par les balcons et autres avancées, inutile d’essayer de passer entre les gouttes en marchant sous les arbres car il pleut aussi sous ces derniers. A l’accueil où tout était calme depuis quelques heures, tout d’un coup, c’est l’affluence. Gérer les entrées, les parapluies mouillés. Rapidement, l’esseulé est dépassé. A l’intérieur, les peintures sont sèches mais l’humidité ambiante augmente du fait de la présence des visiteurs dégoulinant. Les capteurs s’affolent. Mais pas uniquement à cause de la moiteur… A cause des enfants aussi !

Imaginez un peu… Vous êtes tranquillement en train d’admirer les détails d’une estampe de Félix Buhot (qui, en écho avec la situation présente, représente d’ailleurs la ville par temps de pluie) quand votre attention est soudainement interrompue par une succession de petits cris stridents. Une souris peut-être ? C’est tout comme ! Une petite fille allongée sur les dalles de carrelage au beau milieu de la pièce et en train de faire l’étoile. C’est très joli. Son père, un peu gêné, vient la relever rapidement et lui expliquer que l’on ne peut pas faire ça ici etc. Elle restera debout pour la suite de la visite, en courant… Trois options pour les parents : lui faire un sermon toutes les cinq minutes ou faire comme si ça n’était pas leur fille. Ce qui peut marcher ! Il y a aussi, essayer de l’intéresser à ce qui se trame sur ces feuilles de dessin. Ce qui les amène à rester plus de temps que de raison devant une estampe de Berthe Morisot représentant une petite fille, sage comme une image…

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Course de gouttes de goudron fossilisées sur poteau de carrelet girondin. Recours à la photo pour statuer sur le vainqueur. Arrêt sur image. Egalité parfaite.

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Notre mémoire est-elle faite d’images partielles comme celle-ci, de foules de souvenirs s’effaçant avec le temps et remplacés progressivement par du vide, par du blanc ? Et que reste-t-il, finalement, de ce blackout inéluctable mais salutaire ?

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Un ours en peluche jouant à cache-cache en pleine rue, avouons-le, ce n’est pas très courant. Et je ne parle pas du film d’animation qui sévit actuellement dans les salles obscures et fait pleurer, de rire aussi, les grands enfants nostalgiques. Ainsi blotti derrière un volet replié de fenêtre de rez-de-chaussée, j’ai d’ailleurs bien failli ne pas le voir, ce petit ours attendant patiemment que l’on vienne le chercher. Comme s’il était au coin… Peut-être est-il puni ? Ou alors, il monte la garde !

Reste que sa présence à cet endroit intrigue, encore aujourd’hui… L’hypothèse anthropomorphique rapidement abandonnée, les questions arrivent : comment est-il arrivé là ? A-t-il été abandonné, lâché par mégarde par un enfant en poussette, puis ramassé par un badaud, passant par là aussi, mais un peu plus tard, pour être posé sur le rebord de la fenêtre au cas où parent et enfant retraceraient leur chemin en sens inverse ? Si tel est le cas, pourquoi l’avoir mis derrière le volet, à l’abri des regards ? Et était-il déjà installé lorsque les propriétaires du volet l’ont replié sur lui-même ? Probablement, puisque ce dernier n’est pas totalement ouvert. En le dépliant, ils ont bien dû se rendre compte que quelque chose bloquait.  En tendant la main, ils ont touché quelque chose de doux et de triste. Mais, dans ce cas, comment expliquer qu’ils l’aient laissé là au lieu de le faire trôner au milieu de leur fenêtre, pour qu’il soit repéré de loin par son jeune propriétaire désespéré ? Après réflexion, la partie de cache-cache me semble bien plus simple et logique !

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Les rais ardents du soleil assèchent tout, les cours d’eau, les herbes folles, les yeux marrons. Une cascade d’eau sur ces attributs voyeurs résout tout. Enfin, en partie… Si le flot, comme la pomme, file rapidement rafraîchir l’humus, une fine pellicule d’eau fait de la résistance et reste fermement amarrée aux yeux. Rideau.

En un rien de temps, tout ce qui était parfaitement défini et identifiable perd la mémoire. Le flou total, qui fait naître de nouvelles formes. Arbre de Noël aux branches attirées par les hauteurs serties de guirlandes estivales aux boules de ciel bleu, de lumière blanche et de feuilles vertes. Mélange confus et inextricable de billes abstraites impossibles à attraper. Magma magnifique que l’on ne peut toucher qu’avec les yeux. Embués.

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Certaines paires de lunettes permettent de voir mieux de près, d’autres, de loin, quand ce n’est pas les deux à la fois. Il en existe aussi qui sont préconisées par beau temps, les lunettes de soleil. Elles assombrissent plus ou moins tout et altèrent les couleurs, mais préservent les pupilles fragiles. Et puis, il y a les lunettes de nuit, que l’on ne trouve qu’exceptionnellement après avoir chiné des lustres durant sur les brocantes et vide-greniers d’ici et d’ailleurs. A priori, aucune différence avec les autres malgré la mise en garde du vendeur. Même forme, mêmes branches, un peu plus lourdes en revanche, et des verres totalement opaques à la lumière.

Mais une fois sur les yeux, la vie nocturne prend une toute autre tournure. L’acclimatation à ce nouveau révélateur passée, des formes étranges commencent à apparaître. D’abord une, puis deux, puis beaucoup… Elles ont vaguement une forme humaine, très effilées, avec une toute petite tête luminescente – un point quasiment -, et avancent toutes dans une unique direction d’un même pas lent comme si elles savaient le chemin long jusqu’à l’arrivée… Premier réflexe évidemment, retirer dare-dare les lunettes. Plus rien, nada, tout redevient normal. Second réflexe : les remettre aussitôt. Plus rien, nada, l’obscurité totale. Qui étaient-elles ?

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Il peut arriver au faiseur de photo d’être frustré de ne capter « que » l’instant lorsqu’il déclenche. Qu’il achète une caméra, pourrait-on lui lancer ! Oui, sauf que, le faiseur de photo ne veut pas forcément enregistrer le mouvement pour autant… Ce qui l’intéresse parfois, c’est de capturer la trace laissée par le temps qui passe, comme des rides sur le visage ou la lumière se faufilant un chemin à travers le feuillage sur un plan d’eau. Temps de pause. Des canards qui batifolent hors champ, une eau qui se met à onduler, des reflets qui dansent de façon anarchique. L’expectative. On ne sait jamais quelle image va découler de ces concours de circonstances ou rencontres hasardeuses d’éléments issus de mondes parallèles et au cours desquels le faiseur de photo accepte de perdre la main.

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Si l’ombre est le contraire de la lumière, qu’est-ce que produit l’ombre de la lumière ? Et le produit de l’ombre par l’ombre donne-t-il de la lumière, comme le moins par moins se transforme en plus en mathématique ?

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C’est curieux comme, de haut, un être humain est un être humain, un être vivant avec deux jambes, deux bras, une tête, un tronc… L’universalité de la silhouette, ici flottante, me plaît. Le tableau composé par cet ensemble paraît totalement erratique. Mais regarder ces silhouettes évoluer quelques minutes prouve que c’est totalement le contraire. Chacune avance d’un pas très décidé et avec une régularité de métronome vers sa destination finale, hors-champ…

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Le moment où une vague vient s’écraser sur un rocher est peut-être le seul où l’eau de mer coupe le cordon et se désolidarise de la masse infinie que l’ensemble compose. Subitement, le tout se mue en parties, en giclées, en gouttes, qui se dispersent de façon anarchique, comme pour mieux apprécier leur liberté soudaine et tout aussi éphémère…

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