Photo-graphies et un peu plus…
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En un peu moins de 10 minutes, aidé par un vent vif et bien décidé à faire le ménage, le ciel était passé d’une couverture nuageuse blanche et clairsemée à une impressionnante fronde grisâtre puis noirâtre ultra-dense. On – tous ces gens qui étaient dehors à vaquer à leurs occupations du moment – avait pressenti le changement, porté d’abord par les rafales puis par une baisse soudaine de la luminosité, comme si quelqu’un avait appuyé sur l’interrupteur. On – les mêmes – s’étaient tous tournés vers la masse céleste sombre et galopante avec un sentiment mêlé d’effroi et de fascination : il allait falloir, et plus vite que ça encore, trouver un endroit où se retrancher car elle allait certainement se délester de milliards de molécules d’eau en phase liquide.

D’en haut, le spectacle devait être amusant… A l’instant i, des petits humains déambulant calmement en suivant une direction précise même si indéfinie au moment de poser le pied au sol. A l’instant i + nuage monstrueux, les mêmes humains plutôt catastrophés, balayant les environs et filant précipitamment (et un peu anarchiquement il faut le dire), parfois en courant comme si leur vie était en danger, vers des abris plus ou moins pérennes.

Cela me fait penser à des fourmis… Je m’explique. Enfant, vous avez sûrement observé la vie d’une fourmilière. Stupéfait par l’organisation sans faille qui semblait la gouverner et encore marqué par vos récents cours de chimie sur les réactions en chaîne, vous aviez, à plusieurs reprises, tenter de briser cet équilibre interne en obstruant l’entrée de la fourmilière ou en laissant tomber quelques gouttes (d’eau je vous rassure) sur les lignées imperturbables de fourmis. Mais c’est définitivement quand vous souffliez sur elles et que, complètement surprises et décontenancées, elles fuyaient dans toutes les directions, goûtant par la même occasion à ce que l’on appelle le chaos et l’individualisme, que vous étiez le plus fier de vous. Et bien, à une échelle bien plus grande, avec des cieux pareils, j’ai l’impression que quelqu’un me prend pour une fourmi et fait de drôles d’expériences sur mon espèce…

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D’en haut, nous ne voyons pas la même chose que d’en bas. Pardonnez cette évidence qui n’est en réalité que le reflet de ma naïveté… D’en bas, par exemple, je n’aurais pas vu cet arbre, sur la droite là, dans la direction de la Philharmonie, celui au feuillage légèrement plus clair que ses voisins. Sa taille, apparemment gigantesque, c’est ce qui a accroché mon regard alors que je faisais la vigie au sommet de la Colonne de la Victoire. Il fallait absolument que j’aille le voir de plus près, le toucher ! Une urgence du moment en quelque sorte.

Ainsi, j’ai donc dévalé les 285 marches étroites de la tour en laissant malgré tout passer enfants et mères-grand, tout en essayant de dépasser le 1/25e de seconde de ma persistance rétienne. Sans boussole ni GPS intégré, je me suis donc courageusement enfoncée dans ce poumon vert en quête de ce mastodonte certainement plus que centenaire. Plutôt confiante, malgré ma propension à me perdre dans ces espaces aux repères bien plus subtils – « bah c’est un arbre quoi ! » – que les nombreux indices familiers laissés par les artères des villes – « après la pharmacie à l’angle et l’épicerie au coin ».

J’avançais donc le bras tendu vers la direction supposée, pour ne pas la perdre du regard, en tentant, vainement (un anagramme de naïvement au passage !), de reconnaître, d’en bas, les troncs des arbres dont j’avais découvert la cime, d’en haut… C’est à ce moment précis que j’ai réalisé que ce n’était pas parce que je voyais le crâne de quelqu’un que je pouvais dire pour autant s’il avait les jambes arquées ou pas. La révélation vaut aussi pour les arbres. Ainsi, après avoir erré dans les allées du parc en maintenant le cap, après m’être approchée frénétiquement de certains spécimens croyant avoir enfin mis la main dessus, j’ai dû me rendre à l’évidence : il me serait impossible de retrouver mon phare à chlorophylle, au même titre que l’on ne trouve jamais de trésor au pied d’un arc en ciel

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Ce qui m’inquiète le plus à dire vrai n’est pas que ce trio se soit engouffré dans ces sombres abysses terrestres aux abords accueillants, mais plutôt le fait que je ne l’ai jamais vu en ressortir…

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La vie de silhouette à terre est finalement assez triste : son destin est déjà tout tracé, voire piétiné, avant même que son emplacement définitif ne soit déterminé. Elle me paraît même un peu cruelle à vrai dire quand, comme ici, elle doit suggérer le mouvement alors même qu’elle est clouée au sol, immobile, condamnée à regarder devant elle, à la verticale, et à voir les gens, autos et nuages défiler sans lui prêter la moindre attention. C’est un peu comme si on stoppait net une partie d’1, 2, 3 Soleil, laissant les joueurs dans une position instable jusqu’à la fin de leur existence. On aurait envie d’aller les bousculer pour, qu’au moins, ils puissent aller au bout de leur élan. Envie exacerbée avec cette silhouette faussement vagabonde prise dans une tempête de neige, artifice printanier qui lui confère un tout autre relief…

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