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Comment ça, « zéro élément » ? Il n’est pas censé y avoir « zéro élément » dans ce dossier ! Dans ce dossier, je devrais trouver au moins 150 éléments. Où sont-ils ? Recherche. Rien. Recherche. Rien à nouveau. Recherche de plus en plus agitée. Rien, toujours. Je retourne encore tout dans tous les sens. Rien, définitivement. Le dossier est vide. 150 photos fraîchement prises, envolées. Comme ça. Enfin, comme ça, je ne sais pas comment justement. Il est 23h37, c’est le retour de la PPF puissance 1000. J’essaye de réfléchir efficacement, de comprendre ce qui a pu se passer, de trouver une solution avant que les images perdues, ces petits cailloux semés sur mon chemin, ne me reviennent de façon intempestive à l’esprit, car à partir de ce moment-là, je ne verrai plus qu’elles, je ne verrai plus que ces images que j’ai faites, que j’ai gardées, que j’ai aimées et qui se sont évanouies.
Forums. Récupération de fichiers supprimés. Panique. Oh, les photos d’ombre… Ne plus toucher à rien. Trop tard. J’ai refait des photos depuis. Zut, et il y avait celles des enfants aussi ! Logiciels, opérations, test… Et le pont bon sang !! Le pont, le soleil, les silhouettes ! Attention, pas de miracle. Elles sont toutes là, à me narguer, juste derrière mes yeux, elles défilent numéro par numéro. N’existe-t-il pas une machine, parmi toutes celles créées de nos jours, qui soit capable d’aller les chercher dans mon hippocampe – elles datent d’à peine trois jours, je suis sûre qu’elles y sont encore ! – et de les reconstituer dans le monde réel ? Mais que fait la science !?
Je commence à comprendre ce qui s’est passé, et aussi que j’en suis l’unique responsable. J’aurais préféré une erreur technique plutôt qu’une erreur humaine… C’est d’un banal ! Je sais maintenant que je ne reverrai plus ces photos, je relativise : elles n’ont pas été prises à l’autre bout du monde, je les referai ! Mais une petite voix de mauvaise foi me lance : oui, mais ce ne sera pas la même lumière, les mêmes couleurs, les mêmes mouvements, la même heure, les mêmes rires, les mêmes âges, les mêmes… Et pourquoi la prochaine fois serait-elle moins bien au juste ? Malgré cet élan d’optimisme, je n’arrête pas de me repasser le film probable des événements : après avoir introduit la carte mémoire dans l’ordinateur et avoir fait, contrairement à d’habitude, le tri directement sur la carte, j’ai omis, pour une raison qui m’échappe, de copier les images sur le disque dur. Et j’ai effacé le contenu de la carte… Et j’ai réécrit dessus…
Je me pose alors une question très étrange dont l’origine me semble cinématographique (enfin, j’espère) : « quelqu’un » a-t-il vu ce que je faisais au moment où je le faisais, à ce moment crucial où j’ai confirmé la suppression des fichiers, et puis, deux jours plus tard, quand j’ai refait des photos, réduisant à néant toute possibilité de récupération ? « Quelqu’un » ou « quelque chose » a-il vu ça en se disant : « Oups ! Tu vas être triste quand tu vas en prendre conscience ? » Et aucun livre n’est tombé de ma bibliothèque (et j’attends les suggestions quant au film auquel je fais écho…) pour me faire comprendre qu’il y avait danger… Remarquez, dans ledit film, ça n’a pas suffi. J’ai donc continué sur ma lancée moi aussi, et voilà.
Maintenant que je sais leur sort scellé, je repense à ces images différemment. Plus intensément je dirais. Non pas de façon mélancolique mais en veillant à en redessiner le maximum de détails pour les ancrer dans ma mémoire à long terme et pouvoir les allumer, à tout moment, dans la nuit à laquelle l’oubli les destine.