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Je me souviens de mes premiers voyages loin d’ici… Je revenais toujours avec un sac rempli de cadeaux, bibelots, souvenirs plus ou moins utiles, souvent plus que moins d’ailleurs. Enfin, à mes yeux. Mais en la matière, tout est subjectif… Parmi ces achats, il y avait d’ailleurs souvent un sac pour les contenir tous. De retour, je débarquais donc avec ma hotte flanquée sur le dos et distribuais ces petits présents rapportés de l’autre bout du monde. Il y avait, à cette époque pas si lointaine, une réelle surprise à découvrir ces portions d’ailleurs. La séance de déballage, un peu comme un matin de Noël pour les enfants – car ensuite, ça se gâte ! -, baignait dans un émerveillement naïf de nomade fraîchement rentré. Chaque objet offert était l’occasion de raconter une histoire, celle du lieu où il avait été acquis, de la manière dont ce lieu avait été atteint, des personnes éventuellement rencontrées à cette occasion, des risques auxquels il avait été exposé dès lors qu’il avait été entre mes mains – en particulier lorsqu’il s’agissait d’objets fragiles – et ainsi de suite jusqu’à, finalement, atteindre ce désagréable instant où une charmante hôtesse de l’air me demandait, ainsi qu’à tous mes voisins, de ne pas me lever tant que l’appareil n’était pas complètement arrêté, ce qui signait la fin de mon évasion. La distribution faite, c’était à mon tour de trouver une place à ces souvenirs protéiformes sur mes étagères, mes murs, dans mes penderies, mes placards… Deux semaines, six mois, quatre ans après, il me suffisait alors de les regarder quelques secondes pour refaire, virtuellement, le voyage vers leur pays d’origine.
Petit à petit, j’ai arrêté d’encombrer mes armoires de nouveaux sacs. Tout simplement parce que j’ai arrêté de revenir avec les poches pleines de souvenirs, de babioles et de cadeaux palpables. En tout cas, pour moi. Pourquoi ? Plus de place sur les étagères, les murs ou ailleurs ; relativité de l’intérêt pérenne dudit souvenir une fois revenu à la « vie normale » (combien sont désormais dans des boîtes à chaussures, oubliés au fond d’une cave servant de foyer aux araignées ou perchés dans des greniers squattés par des pigeons unijambistes ?) ; incompatibilité esthétique entre les diverses incarnations de l’altérité… Il y a aussi le fait qu’aujourd’hui, l’ailleurs est venu jusqu’ici. Vous désirez donner une petite touche d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique Latine à votre intérieur, goûter une spécialité culinaire bien de là-bas ? Où que vous soyez, les Pages Jaunes sauront rapidement satisfaire votre envie sans vous faire prendre l’avion. Certes, c’est un brin moins charmant et surtout moins authentique mais cela fait partie des affres de la globalisation, de son rouleau compresseur uniformisant et de son corollaire agaçant que le monde est un village. Mais alors, plus de madeleine vers laquelle se retourner pour revivre nos errements géographiques ? Bien sûr que si : les photos, dont c’était déjà partiellement le rôle, ont, pour ma part, plus que jamais, cette fonction. Nettement moins gourmandes en place réelle, peu regardantes face aux fautes de goût de la juxtaposition, introuvables sur les pages jaunes, elles sont mes propres souvenirs que je me construis en temps réel pour anticiper l’oubli et cultiver ma mémoire d’un ailleurs résistant…